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vel académicien. Je vais lui annoncer que nous allons dîner à la campagne.

Et il s’en fut à l’appareil d’où il détacha le récepteur. Il écouta.

L’appareil était tout au fond de la pièce sous une petite ampoule électrique. Était-ce cette électricité qui produisait un jour défavorable, ou ce qu’il entendait qui l’émouvait à ce point ? Mais M. Lalouette était vert. M. Patard, inquiet, demanda :

— Qu’est-ce qu’il y a ?…

M. Lalouette se pencha sur l’appareil.

— Ne t’en va pas, Eulalie. Il faut que tu répètes cela à M. le secrétaire perpétuel.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda celui-ci, de plus en plus fébrile.

— C’est une lettre de M. Eliphas de la Nox ! répondit Lalouette de plus en plus vert.

M. Patard, naturellement, devint jaune et mit hâtivement l’un des récepteurs à son oreille. Les deux hommes écoutaient.

Ils écoutaient la voix de Mme Lalouette qui leur transmettait le texte d’une lettre qui venait d’arriver pour M. Lalouette.

« Mon cher Monsieur Lalouette. Je suis heureux de votre succès et je suis bien certain qu’avec un homme comme vous, il n’est pas à craindre que quelque fâcheuse émotion vienne interrompre le fil de votre discours. Comme vous le voyez par le timbre de cette lettre, je suis toujours à Leipzig mais, depuis que je vous ai vu, j’ai eu la curiosité de me documenter sur cette étrange affaire de l’Académie. Et maintenant que j’ai réfléchi, j’en suis à me demander s’il est vraiment aussi naturel que cela que trois académiciens meurent de suite avant de s’asseoir dans le fauteuil de Mgr d’Abbeville ! Il y avait peut-être quelque part un intérêt réel à ce qu’ils disparussent !… Et voilà ce que je me suis dit : ça n’est pas, après tout, une raison parce que je ne suis pas un assassin, pour qu’il n’y ait plus d’assassins sur la terre ! En tout cas, ces réflexions ne sauraient vous arrêter. Même s’il y a eu des raisons à la disparition de MM. Mortimar, d’Aulnay et Latouche, il se peut très bien qu’il n’y en ait aucune à la disparition de M. Gaspard Lalouette. Compliments et mes meilleurs souvenirs à Mme Lalouette.

« Éliphas de Saint-Elme de Taillebourg-de-la-Nox. »

CHAPITRE XIII

Dans le train


Dans le train qui les conduisait à la Varenne-Saint-Hilaire, M. Hippolyte Patard et M. Gaspard Lalouette réfléchissaient.

Et leurs réflexions devaient être assez maussades car ils ne mettaient aucun empressement à se les communiquer.

La lettre d’Eliphas était pleine d’un terrible bon sens !

Ce n’est pas une raison parce que je ne suis pas un assassin pour qu’il n’ait plus d’assassins sur la terre !

Cette phrase leur était entrée dans la tête, comme une vrille à tous les deux. Évidemment, celui qu’elle faisait souffrir le plus était M. Lalouette, mais M. Patard était bien malade.

Il avait naturellement demandé des explications à M. Lalouette qui lui avait narré, par le menu, la visite de l’inoffensif Eliphas.

Il n’y avait plus, du reste, aucun inconvénient à cette confidence, puisque M. Lalouette était bien définitivement élu.

Mais, s’il ne l’avait pas été, — élu, — je crois bien qu’après cette lettre d’Eliphas, M. Lalouette eût tout raconté tout de même, car, en vérité, il en était maintenant à se demander s’il avait lieu de se réjouir autant que cela de son élection.

Quant à M. Hippolyte Patard, le dépit qu’il avait conçu dans l’instant, d’avoir été soigneusement écarté par le prudent Lalouette d’un incident aussi considérable que celui de la réapparition d’Eliphas n’avait pas duré sous le coup des idées particulièrement lugubres soulevées par la tranquille hypothèse d’Eliphas de la Nox lui-même :

« Si ce n’est moi, c’est peut-être un autre !… »

« Est-ce aussi naturel que cela que trois académiciens de suite meurent avant de s’asseoir dans le fauteuil de Mgr d’Abbeville ! »

Encore une phrase qui lui dansait devant les yeux…

Mais c’était surtout la dernière qui tracassait ce pauvre M. Lalouette.

« S’il y a eu des raisons à la disparition de MM. Mortimar d’Aulnay et Latouche, il se peut très bien qu’il n’y en ait aucune à la disparition de M. Gaspard Lalouette… »

Il se peut !!!… M. Lalouette ne pouvait avaler ce : « Il se peut !!!