Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contre la figure impassible d’Armand Duplessis, cardinal de Richelieu.

Devant ce sacrilège, M. Patard avait commencé un cri. Mais la figure de Loustalot était devenue si effrayante que ce cri n’avait pu s’achever… Il resta à l’état de puissance — ou d’impuissance — dans la gorge de M. le secrétaire perpétuel.

Ah ! la fulgurante figure de démon ! M. Loustalot barrait toujours le passage de la porte et agitait les bras comme un vrai Méphisto de théâtre qui veut faire croire qu’il a des ailes. Pour un vrai savant, c’était inouï, et tout le monde l’eût cru toqué.



Mais retirez donc vos lunettes !


M. Patard et M. Lalouette crurent que c’était le diable. Comme il avançait toujours, ils reculèrent encore.

— Allons ! Allons !… Tas de voleurs ! leur cria-t-il avec un éclat qui les annihila de plus en plus… Tas de voleurs de mon secret ! Il a fallu que vous descendiez dans la cave, hein ? pendant que je n’étais pas là… comme des gens mal élevés ou comme des tas de voleurs ! Et il aurait pu vous en cuire, vous savez !… Et les chiens auraient pu vous manger comme des alouettes ou vous tuer comme des mouches ! Ainsi parle Dédé. vous l’avez vu, Dédé ? Tas de voleurs !… Enlevez donc vos lunettes, tas d’imbéciles !

Loustalot écumait. Il s’essuyait la bouche et aussi son front en sueur à grands coups de ses mains comme s’il se donnait des claques !

— Mais retirez donc vos lunettes ! (les autres, bien entendu, ne les retiraient pas.) vous avez dû aussi vous mettre du coton dans les oreilles !… Tout le bataclan !… Toute la folie de Dédé !… Et qu’il me fait mes inventions pour un morceau de pain !… Et le secret de Toth, n’est-ce pas ?… Et la lumière qui tue ? et le cher petit perce-oreilles !… Toute la folie, toute la folie de Dédé !… Qu’est-ce qu’il a bien pu ne pas vous dire ?… Le pauvre cher fou !… le pauvre cher fou !… le pauvre cher fou !

Et Loustalot, se laissant tomber sur une chaise, sanglota d’une façon si désespérée que « les deux autres » en eurent comme un choc au cœur. Et cet immense misérable qui, il y a une seconde à peine, leur paraissait le plus grand criminel de la terre, leur parut, tout à coup, infiniment pitoyable. Oh ! ils étaient bien étonnés de le voir pleurer ainsi, mais ils ne s’approchèrent de lui qu’avec prudence et en gardant leurs lunettes. Loustalot, râlant, gémissait :

— Le pauvre cher fou !… le pauvre enfant… mon enfant !… Messieurs… mon fils !… Comprenez-vous maintenant !… mon fils qui est fou !… fou dangereux, très dangereusement fou… Les autorités ne m’ont permis de le conserver chez moi que comme un prisonnier… — Un jour, on a retiré de ses mains une petite fille qu’il avait presque étranglée afin de reprendre dans sa gorge ce qu’elle avait pour chanter aussi bien que cela !… Ah ! Il ne faut pas le dire… C’est mon fils unique !… On me le prendrait !… On me l’enfermerait !… On me le volerait !… vous n’avez qu’à parler pour qu’on me vole mon fils !… tas de voleurs d’enfants !

Et il pleura !… il pleura !…

M. Hippolyte Patard et M. Lalouette le regardaient, immobiles, foudroyés par cette révélation. Ce qu’ils venaient d’entendre et la sincérité de ce désespoir leur expliquaient le singulier et douloureux mystère de l’homme à travers les barreaux.

Mais les trois morts ?…

M. Patard posa une main timide sur l’épaule du grand Loustalot dont les larmes ne tarissaient pas…

— Nous ne dirons rien ! déclara M. le secrétaire perpétuel, mais avant nous, il y a eu trois hommes qui, eux aussi, avaient promis de ne rien dire… et qui sont morts.

Loustalot se leva, étendit les bras comme s’il voulait étreindre toute la douleur du monde.

— Ils sont morts ! les malheureux !… Croyez-vous donc que je n’en aie pas été plus épouvanté que vous ?… Le destin semblait se faire mon complice !… Ils sont morts parce qu’ils ne se portaient pas bien ! Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?

Et il alla à Lalouette.

— Mais vous, Monsieur… Vous ! dites-moi !… Vous avez une bonne santé ?

Avant que M. Lalouette n’ait pu répondre, la salle était envahie par ses collègues impatients qui venaient chercher M. le secrétaire perpétuel et son héros.

La cour, les salles, les couloirs de l’Institut étaient pleins du plus ardent tumulte.

Malgré le coton qu’il avait enfoncé dans ses oreilles, M. Lalouette ne perdit rien de tous ces bruits de gloire. En somme, après la confidence dernière de Loustalot, il pouvait passer à l’Immortalité, en toute