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Page:Leroux - Le Mystère de la chambre jaune, 1907.djvu/23

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Et il se décida à compléter sa pensée :

« Le père Jacques était avec M. Stangerson… C’est heureux pour lui…

– Alors, quid du rôle du revolver du père Jacques dans le drame ? Il semble bien démontré que cette arme a moins blessé Mlle Stangerson qu’elle n’a blessé l’assassin… »

Sans répondre à cette question, qui sans doute l’embarrassait, M. de Marquet nous apprit qu’on avait retrouvé les deux balles dans la « Chambre Jaune », l’une dans un mur, le mur où s’étalait la main rouge – une main rouge d’homme – l’autre dans le plafond.

« Oh ! oh ! dans le plafond ! répéta à mi-voix Boitabille… Vraiment… dans le plafond ! Voilà qui est fort curieux… dans le plafond !…

Il se mit à fumer en silence, s’entourant de tabagie. Quand nous arrivâmes à Épinay-sur-Orge, je dus lui donner un coup sur l’épaule pour le faire descendre de son rêve et sur le quai.

Là, le magistrat et son greffier nous saluèrent, nous faisant comprendre qu’ils nous avaient assez vus ; puis ils montèrent rapidement dans un cabriolet qui les attendait.

« Combien de temps faut-il pour aller à pied d’ici au château du Glandier ? demanda Boitabille à un employé de chemin de fer.

– Une heure et demie, une heure trois quarts, sans se presser », répondit l’homme.

Boitabille regarda le ciel, le trouva à sa convenance et, sans doute, à la mienne, car il me prit sous le bras et me dit :

« Allons !… J’ai besoin de marcher.

– Eh bien ! lui demandai-je. Ça se débrouille ?…

– Oh ! fit-il, oh ! il n’y a rien de débrouillé du tout !… C’est encore plus embrouillé qu’avant ! Il est vrai que j’ai une idée…

– Dites-la.

– Oh ! Je ne peux rien dire pour le moment… Mon idée est une question de vie ou de mort pour deux personnes au moins…

– Croyez-vous à des complices ?

– Je n’y crois pas… »

Nous gardâmes un instant le silence, puis il reprit :

« C’est une veine d’avoir rencontré ce juge d’instruction et son greffier… Hein ! que vous avais-je dit pour le revolver ?…

Il avait le front penché vers la route, les mains dans les poches, et il sifflotait. Au bout d’un instant, je l’entendis murmurer :

« Pauvre femme !…

– C’est Mlle Stangerson que vous plaignez ?…

– Oui, c’est une très noble femme, et tout à fait digne de pitié !… C’est un très grand, un très grand caractère… j’imagine… j’imagine…

– Vous connaissez donc Mlle Stangerson ?

– Moi, pas du tout… Je ne l’ai vue qu’une fois…

– Pourquoi dites-vous : c’est un très grand caractère ?…

– Parce qu’elle a su tenir tête à l’assassin, parce qu’elle s’est défendue avec courage, et surtout, surtout, à cause de la balle dans le plafond. »

Je regardai Boitabille, me demandant in petto s’il ne se moquait pas tout à fait de moi ou s’il n’était pas devenu subitement fou. Mais je vis bien que le jeune homme n’avait jamais eu moins envie de rire, et l’éclat intelligent de ses petits yeux ronds me rassura sur l’état de sa raison. Et puis, j’étais un peu habitué à ses propos rompus… rompus pour moi qui n’y trouvais souvent qu’incohérence et mystère jusqu’au moment où, en quelques phrases rapides et nettes, il me livrait le fil de sa pensée. Alors, tout s’éclairait soudain ; les mots qu’il avait dits, et qui m’avaient paru vides de sens, se reliaient avec une facilité et une logique telles « que je ne pouvais comprendre comment je n’avais pas compris plus tôt ».