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Page:Leroux - Le Parfum de la dame en noir.djvu/70

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il garda le silence, car il considérait attentivement l’eau. Nous étions entre la fine taille du Fides, venu de Castellamare, et le beaupré d’un trois-mâts-goélette venu de Gênes. Plus loin, deux tartanes arrivées le matin des Baléares arrondissaient leurs ventres, et je vis que ces ventres étaient pleins d’oranges, car ils en perdaient de toutes parts. Les oranges nageaient sur les eaux ; la houle légère les portait vers nous à petites vagues. Mon pêcheur sauta dans un canot, courut à la proue, et, armé de son bâton couronné de liège, attendit. Puis il pêcha. Le liège de son bâton amena une orange, deux, trois, quatre. Elles disparurent dans le sac. Il en pêcha une cinquième, sauta sur le quai et ouvrit la pomme d’or. Il plongea son petit museau dans la pelure entr’ouverte et dévora.

— Bon appétit ! lui fis-je.

— Monsieur, me répondit-il, tout barbouillé de jus vermeil, moi, je n’aime que les fruits.

— Ça tombe bien, répliquai-je ; mais quand il n’y a pas d’oranges ?

— Je travaille au charbon.

Et sa menotte, s’étant engouffrée dans le sac, en sortit avec un énorme morceau de charbon.

Le jus de l’orange avait coulé sur la guenille de sa jaquette. Cette guenille avait une poche. Le petit sortit de la poche un mouchoir inénarrable et, soigneusement, essuya sa guenille. Puis il remit avec orgueil son mouchoir dans sa poche.

— Qu’est-ce que fait ton père ? demandai-je.

— Il est pauvre.

— Oui, mais qu’est-ce qu’il fait ?

Le pêcheur d’oranges eut un mouvement d’épaules.

— Il ne fait rien, puisqu’il est pauvre !

Mon questionnaire sur sa généalogie n’avait point l’air de lui plaire.

Il fila le long du quai et je le suivis ; nous arrivâmes ainsi au « gardiennage », petit carré de mer où l’on tient en garde les petits yachts de plaisance, les petits bateaux