Page:Leroux - Le Parfum de la dame en noir.djvu/71

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bien propres d’acajou ciré, les petits navires d’une toilette irréprochable. Mon gamin les considérait d’un œil connaisseur et prenait à cette inspection un vif plaisir. Une embarcation jolie, toute sa voile dehors ― elle n’en avait qu’une ― accosta. Cette voile était immaculée, gonflait son albe triangle, éclatant dans le radieux soleil.

— Voilà du beau linge ! fit mon bonhomme.

Là-dessus, il marcha dans une flaque, et sa jaquette, qui décidément le préoccupait au-dessus de toutes choses, en fut tout éclaboussée. Quel désastre ! Il en aurait pleuré. Vite, il sortit son mouchoir et essuya, essuya, puis il me regarda d’un œil suppliant et me dit :

— Monsieur ! je ne suis pas sale par derrière ?…

Je lui en donnai ma parole d’honneur. Alors, confiant, il remit encore une fois son mouchoir dans sa poche.

À quelques pas de là, sur le trottoir qui longe les vieilles maisons jaunes ou rouges ou bleues, les maisons dont les fenêtres étalent la lessive des chiffons multicolores, il y avait, derrière des tables, des marchandes de moules. Les petites tables étalaient les moules, un couteau rouillé, un flacon de vinaigre.

Comme nous arrivions devant les marchandes et que les moules étaient fraîches et tentantes, je dis au pêcheur d’oranges :

— Si tu n’aimais pas que les fruits, je pourrais t’offrir une douzaine de moules.

Ses yeux noirs brillaient de désir et nous nous mîmes, tous deux, à manger des moules. La marchande nous les ouvrait et nous dégustions. Elle voulut nous servir du vinaigre, mais mon compagnon l’arrêta d’un geste impérieux. Il ouvrit son sac, tâtonna, et sortit triomphalement un citron. Le citron, ayant voisiné avec le morceau de charbon, était passé au noir. Mais son propriétaire reprit son mouchoir et essuya. Puis il coupa le fruit et m’en offrit la moitié, mais j’aime les moules pour elles-mêmes et je le remerciai.

Après déjeuner, nous revînmes sur le quai. Le pêcheur d’oranges me demanda une cigarette qu’il alluma avec