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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/115

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pouvoir être autre que Philibert Wat lui-même, remontait l’avenue des Champs-Élysées.

Ceux qui le connaissaient — et qui ne connaissait, à Paris, l’homme d’affaires tout-puissant, le plus élégant des financiers, le gendre du président du conseil ? — pouvaient s’étonner de le voir de si bon matin, par un froid solide, à pied, dans une avenue qu’il ne fréquentait ordinairement qu’à l’heure du Bois, en fringant équipage, car Philibert aimait le luxe, les beaux chevaux, les belles maîtresses, et tout ce qui, d’après lui, rendait la vie supportable dans une ville comme Paris.

Ce matin-là, Philibert paraissait fort soucieux. Les événements de la dernière nuit l’avaient étrangement troublé. Bien qu’il n’eût été mêlé en rien à l’assassinat de Didier non plus qu’à celui de Lamblin, il avait été mis cependant au courant de leur tentative de chantage et il avait partie assez étroitement liée avec Sinnamari et Eustache Grimm pour s’émouvoir de ce qui pouvait leur survenir de désagréable. Or, il ne pouvait rien leur arriver de plus déplaisant que l’évasion de ce Desjardies, dont l’exécution eût si merveilleusement conclu les deux affaires Lamblin et Didier.

Et, à ce propos, Philibert se demandait pour la centième fois qui était ce fantastique roi Mystère qui se mêlait si audacieusement de choses qui ne le regardaient pas ? Qui était cet être extraordinaire dont il venait de mesurer la toute-puissance ? Ce R. C., avec lequel il avait soupé dans des conditions si bizarres et si tragiques ? Le comte de Teramo-Girgenti lui avait dit que c’était un de ses amis. Le comte ne s’était pas moqué de lui ? Il eût été tenté de le croire s’il n’eût senti contre sa poitrine les 25 000 francs perdus par le comte, et qu’il venait de toucher chez le banquier de R. C. ! Tout de même, il allait interroger sérieusement Teramo-Girgenti ! Et Philibert pressa le pas vers l’hôtel que venait d’acheter le comte, au coin de l’avenue des Champs-Élysées et de la rue du Colisée.

Philibert avait déjà dépassé le rond-point et il se préparait à sonner à la grille de l’hôtel quand il vit descendre vers lui, sur le trottoir, un noble vieillard qu’il reconnut immédiatement. Le noble vieillard avait sur son poing un perroquet.

M. de Teramo-Girgenti ! fit Wat, et il s’avança vivement vers le comte ; mais celui-ci lui montrait déjà l’oiseau.

— Comment le trouvez-vous ? demanda-t-il. Il est superbe ! Vous savez, c’est moi qui l’ai déniché ! C’était un voisin. Je l’entendais, tous les matins, en sortant de chez moi, annoncer aux passants qu’il « avait bien déjeuné ». C’est par le plus grand des hasards qu’en rentrant de ma promenade, je l’ai découvert chez un savetier qui a établi son échoppe dans un sous-sol de la rue du Colisée… Je suis bien content… Le bonhomme me l’a laissé pour quinze louis !… C’est pour rien ! Il y tenait tant ! Comment le trouvez-vous ?