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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/116

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Philibert Wat trouvait que ce perroquet ressemblait à tous les perroquets, et ne parvenait point à comprendre comment un homme qui paraissait aussi sain d’esprit que le comte, avait payé trois cents francs un oiseau aussi vulgaire.

— Rentrons vite, fit Teramo-Girgenti, ou il va attraper froid…

La grille qui donnait accès dans les jardins de l’hôtel du comte s’ouvrit sans que celui-ci eût même touché le bouton de la sonnette.

Wat ne s’étonna pas. Il avait déjà pu constater, depuis le peu de temps qu’il connaissait ce singulier personnage, que le comte de Teramo-Girgenti était servi comme nul prince au monde ne pouvait se vanter de l’être.

Qu’était donc exactement ce comte de Teramo-Girgenti, que le président des Cortès avait recommandé à la bienveillante attention de Sinnamari… ? À l’entendre, il connaissait personnellement la plupart des princes régnants, et se prétendait apparenté avec les plus nobles familles d’Espagne et d’Italie.

À Paris, on ne connaissait pas ce grand seigneur ; le comte prétendait n’y être point venu depuis des siècles, et ce détail avait évidemment suffi pour classer le personnage dans l’esprit de Philibert Wat parmi les fantaisistes. Mais ce fantaisiste avait, depuis les quelques jours qu’il se trouvait à Paris, jeté une fortune par les glaces de son coupé, un coupé traîné par une paire de bais qui valaient bien deux mille louis.

En quarante-huit heures son intendant lui avait acheté cet hôtel et l’avait royalement meublé… Une armée d’ouvriers avaient fait de cet immeuble, bourgeoisement banal, un véritable palais que le comte s’était plu à remplir des bibelots les plus rares.

Plus encore que sa passion pour les bibelots, l’ineffable amour de Teramo pour les perroquets avait stupéfait le banquier. Au moins, en ce qui concernait les bibelots, le comte choisissait, et si bien que n’eût pas mieux fait le plus habile des experts, mais jamais il ne choisissait parmi les perroquets qu’il rencontrait sur son chemin ; il les achetait tous ! Et il ordonnait qu’on les portât immédiatement chez lui quand il ne les rapportait lui-même, comme il venait encore de le faire.

Le gendre du président du conseil avait envoyé des télégrammes à Rome, à Madrid, à Vienne, à Berlin, chez les princes et chez les ministres qui s’étaient portés garants du comte auprès de lui, et de partout il n’avait obtenu que cette explication brève, mais décisive, et conçue presque toujours en ces termes : « Faites ce que vous dira le comte. C’est un gentilhomme, et je m’honore d’être son ami. » Et Philibert Wat avait fini par penser qu’il se trouvait en face de quelque prince du sang qui avait ses raisons pour déguiser sa véritable personnalité.

… Quand ils eurent passé la grille et que celle-ci se fut refermée