C’était là un accident, un simple accident… Tandis que les autres fois, c’est moi qui ai voulu ma naissance !… Après avoir préparé ma mort !… Les autres fois, j’étais, si j’ose dire, mon propre père… Puisque ma volonté seule me faisait renaître à la lumière du jour, après soixante-quinze années de repos chez les morts !…
Wat considérait avec étonnement Teramo-Girgenti. Ce n’étaient point ses propos bizarres qui l’intriguaient, car il en avait déjà entendu quelques-uns depuis qu’il le fréquentait, mais la précipitation avec laquelle il parlait, le ton dont il disait ces choses, sa voix qui s’élevait à un diapason inaccoutumé… Enfin, le comte s’était levé et marchait bruyamment dans la chambre, lui qui ne faisait jamais de bruit…
À ce moment, la porte s’ouvrit, livrant passage à Ali, et Wat entendit encore cette voix bizarre, ces exclamations tantôt rauques et tantôt aiguës qui le troublaient sans raison… peut-être tout simplement parce qu’il ne se rappelait plus où il avait bien pu entendre ce singulier glapissement.
La voix criait : « By Jove ! Master Bob ! What a fearful sight ! Quel affligeant spectacle ! »
Et Wat surprit un coup d’œil terrible lancé par Teramo-Girgenti à Ali, coupable évidemment d’avoir ouvert la porte au moment où le comte faisait tout son possible pour que son visiteur n’entendît point les extraordinaires clameurs qui retentissaient dans le vestibule.
Après avoir quitté Ali, le regard du comte s’était reporté sur Philibert. Ce coup d’œil avait suffi pour le renseigner : Philibert avait entendu.
Alors, Teramo-Girgenti sembla prendre son pari et, s’adressant à Ali :
— Tu vas dire à M. Macallan que je ne veux pas le recevoir… que je n’ai rien à lui dire… et que je ne veux plus le revoir avant le 15 janvier…
— Et s’il refuse de partir ?
— Tu le mettras à la porte !
Ali sortit.
— Qu’est-ce que je vous disais donc ? reprit aussitôt le comte, pendant que Wat se souvenait soudain du curieux gnome qui avait partagé leur souper, place de la Roquette… Qu’est-ce que je vous disais ?…
… Une tempête de jurons franco-anglais éclatait alors derrière la porte, mais le comte ne semblait point les entendre et reprenait, marchant à grands pas dans cette pièce obscure, apparaissant et disparaissant tout à tour dans la pénombre et dans l’ombre, comme un fantôme tapageur qui bouleverse les meubles :
— Ah, oui ! Je vous disais qu’avec trois heures de marche quotidienne, j’espère atteindre le terme de ma vie, ce siècle-ci !…