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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/130

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sa voiture, mais d’autres, qui l’avaient vue marcher, en étaient devenus fous.

Elle s’en apercevait à peine. Qu’on l’aimât, qu’on se ruinât, qu’on se tuât pour elle, la chose lui importait peu, et cependant elle était une femme autrement redoutable qu’une femme méchante. Elle était indifférente. Et le sang des amants qui, par deux fois, avait rougi le tapis de ses appartements, l’avait ennuyée comme une incongruité.

Les hommes avec qui le destin lui avait donné affaire l’ennuyaient. Cependant, le comte Teramo-Girgenti, avec qui elle venait de faire connaissance, ne l’ennuyait point. Il avait eu une façon de briser sa voiture et d’en réparer les dégâts qui n’était pas celle de tout le monde. Sa parfaite galanterie, et puis aussi ses cheveux blancs lui plaisaient. Elle aimait les vieillards, avec qui l’on peut causer. Celui-ci avait encore cet avantage sur les autres, qu’il l’intriguait un peu. Les manières du vieux gentilhomme étaient si singulières et… si pleines d’une inquiétante et douce autorité, qu’elle n’avait point résisté au plaisir de se trouver seule avec lui, dans ce coupé.

Pressentiment inexplicable, il lui semblait non point que cet étranger avait quelque chose à lui dire, mais qu’ils avaient, tous deux, quelque chose à se dire. Par exemple, elle ne savait pas quoi ! C’était une simple sensation, mais curieuse en vérité. Le comte la considérait maintenant si sérieusement qu’elle ne put s’empêcher de lui dire avec un de ces sourires vagues qui avaient déjà fait tant de malheureux :

— Mais enfin, monsieur, que me voulez-vous ?

— Rien, répondit Teramo, je ne veux rien, madame, que l’honneur de vous déposer à votre porte…

— Mais, vous ne savez pas où j’habite !…

— Croyez-vous ? fit tranquillement le comte. Quand vous me connaîtrez mieux, madame, vous apprendrez que je sais tout.

— C’est beaucoup de prétention… d’autant plus de prétention que je vous surprends en défaut du premier coup : nous tournons le dos à mon domicile.

— En vérité ?

— Votre cocher nous conduit rue de Moscou et j’habite…

— Dans le quartier des Champs-Élysées… Mais, madame, n’est-il point agréable de prendre quelquefois le chemin des écoliers ? Quand je vous aurai déposée à votre porte, qui me dit que je vous reverrai jamais !… Et je goûte trop le charme de votre conversation…

La voiture se trouvait maintenant au coin de la rue de Moscou et de la rue de Saint-Pétersbourg. Elle s’arrêta.

— Mais nous ne sommes pas arrivés ! s’écria, en riant, Liliane.

— Je sais ce que c’est, fit le comte en ouvrant la portière. Vous permettez, madame ? Dans une minute je suis de retour… le temps de dire un mot à cet homme…