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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/159

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lement autour de la grotte ou prendre le frais sur le seuil de leur demeure.

Donc, les phoques ne gênaient personne dans la journée, c’est-à-dire à partir de quatre heures de l’après-midi, qui est, comme on le sait, le commencement de la journée pour la Littérature de Montmartre. Mais le matin ils faisaient autant de bruit que s’ils avaient été locataires du Conservatoire. Et, comme leurs cris gutturaux leur avaient attiré quelques brocs d’eau vengeurs jetés à la volée du haut des fenêtres et que les phoques n’aiment rien tant que l’eau, surtout quand ils en sont privés, ils s’imaginèrent qu’on les récompensait de leurs chants et se mirent à braire davantage. Ainsi en va-t-il des petits musiciens des rues, auxquels on donne deux sous pour qu’ils s’en aillent et qui ne veulent plus partir.

On commençait à s’habituer aux phoques, car il faut bien s’habituer à tout, quand, pendant la foire, un renne vint habiter chez le père Thiébault. Ce fut le comble. Car il fit à lui tout seul avec ses pattes plus de bruit que les phoques avec leurs gueules. Jusqu’à l’heure de sa représentation, on l’enfermait dans une cave, dans laquelle on l’avait fait descendre par un vaste soupirail donnant sur la même cour.

Quand le renne était là-dedans, on fermait la porte, mais alors il ne cessait de taper sur cette porte avec une telle rage de toutes ses pattes, que messire Thiébault ne cessait de demander : « Mais qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’il a, le renne ? » À quoi le Professeur condescendait à répondre : « Vous voyez bien qu’il regrette la Laponie. » Et il ajoutait : « Et croyez bien, mon cher monsieur Thiébault, que si je pouvais la lui donner !… »

Ce renne s’était montré si insupportable pour la Littérature que celle-ci avait juré de se venger, et elle aurait mis son projet à exécution si, quarante-huit heures avant les événements qui nous occupent, le renne n’avait quitté la « Mappemonde » pour l’Amérique. Seulement, comme leur vengeance était prête, les littérateurs décidèrent qu’elle servirait à quelque chose, et, le matin même de ce jour immuable où nous avons fait connaissance avec dame Héloïse, l’un des deux phoques qui tenaient encore domicile dans la grotte, et qui avait pris l’habitude de se promener dans les corridors, frappant de son museau aux portes, avec l’audace d’un facteur matinal qui ne craint point de réveiller les locataires parce qu’il leur apporte une lettre chargée, l’un des deux phoques avait disparu. Personne n’avait encore eu le temps de s’en apercevoir. Seule, la Littérature « savait ».

Et, maintenant que le lecteur connaît un peu les êtres de la Grande Hostellerie de la Mappemonde, il ne s’étonnera plus que, obligés de subir tant d’animaux bruyants, les locataires eussent, dans le chapitre précédent, montré tant d’intérêt pour un perroquet qui ne parlait pas.

Or, voici que Salomon s’était mis à parler… Et avec quel résultat ! Il