Aller au contenu

Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvre monsieur Pascal. Alors, l’abbé Prévost, qui était un honnête homme, m’a épousée. Malheureusement, notre enfant est mort en naissant. C’est alors que nous avons adopté Jacquot, que ces messieurs ont appelé depuis Salomon. Salomon était aussi attentionné pour moi qu’un fils, et aussi tendre qu’un mari. Il me donnait les mots les plus doux, et comme je m’appelle de mon vrai nom Marguerite

Mais ici, elle fut encore interrompue par le perroquet : Tu es la Marguerite des Marguerites ! Tu es la perle des Valois !

Dame Héloïse se leva toute droite à cette manifestation nouvelle de la voix d’autrefois. Salomon, debout sur son perchoir, la crête haute, une patte en l’air, l’œil humide, semblait un amant qui ose tout à coup la plus audacieuse des déclarations.

— Ah, tais-toi maintenant ! Tu me fais trop de peine ! gémit dame Héloïse en retombant sur son siège.

Quant à Robert Pascal, la répétition de la phrase fatale ne semblait point, cette fois, l’avoir bouleversé outre mesure. Son esprit était tendu vers un unique objet, et évidemment il avait hâte d’y atteindre.

— Madame, dit-il en donnant à sa voix l’intonation la plus séduisante, quand vous vous êtes mariés, M. Prévost et vous, quel métier avez-vous donc fait pour vivre ?

— Moi monsieur, j’ai toujours travaillé. Au couvent, je faisais de la dentelle : j’ai continué à en faire dans ma nouvelle position. Quant à Prévost, il faisait les devoirs des élèves du collège Louis-le-Grand. Il traduisait leurs versions, leur faisait des vers latins, pour quelques sous, mais à la fin du mois ça faisait encore une jolie somme, car le bruit s’était répandu dans tous les établissements d’éducation qu’il y avait à Montmartre un ancien curé qui faisait les versions latines pour cinq sous et les discours français pour dix sous, et les vers latins à un sou pièce ; nous avons été bientôt débordés de commandes.

— À Montmartre ! répéta sourdement Robert Pascal. Vous habitiez donc déjà Montmartre à cette époque ?

— Oh ! nous sommes venus nous y installer tout de suite et nous n’avons jamais voulu le quitter : nous y sommes venus d’abord parce que, dans notre situation, nous nous disions qu’il n’y aurait qu’à Montmartre qu’on pourrait nous comprendre. Montmartre, monsieur Pascal, a toujours eu des idées libérales.

— Et à quel endroit habitiez-vous, à Montmartre ?…

— Mais tout à côté, monsieur Pascal !… Comme vous voilà défait, grand Dieu !… Tout à côté, derrière la butte… La maison que nous habitions existe toujours. On n’y a pas touché !…

— Dieu soit loué ! soupira Pascal avec une exaltation grandissante. Et la rue ? Est-ce qu’on a touché à la rue ? Quelle rue habitiez-vous ?…

— La rue des Saules, monsieur Pascal, oui, nous habitions dans la