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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/172

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Dixmer dit tout bas à son sauveur :

— Merci, Patte-d’Oie !… À titre de revanche !… À après-demain !

Et il poussa un gros soupir en arrivant sur le boulevard. Là, il constata naturellement qu’il devait renoncer à retrouver la trace de Robert Pascal. Il n’avait plus qu’une envie, après une si chaude algarade, celle de s’aller coucher ; ce qu’il fit.

Quant à Robert Pascal, débarrassé de son « fileur », il s’était jeté dans un fiacre et s’était fait conduire derrière la butte. Là, il quittait sa voiture, remontait à pied la pente de la butte et arrivait enfin rue des Saules.

Quand il y parvint, il s’arrêta un instant et regarda attentivement autour de lui. Le silence le plus absolu régnait sur toutes choses, et la lune éclairait un paysage de mort.

Sous les rayons pâles et glacés de l’astre des nuits, les murs d’un jardin à droite, hauts et décrépits, éclataient de blancheur comme le marbre des tombeaux.

Aux yeux du jeune orfèvre, nuls murs au monde ne pouvaient être plus sinistres que ceux-là. Et, cependant, ils n’étaient, comme tant de vieux murs, que de la pierre et de la mousse ! Nulle porte sur la terre ne devait avoir le don de faire battre son cœur désespéré par son seul aspect, comme cette petite porte basse aux planches pourries, aux gonds rouillés !…

Il s’appuya à cette porte pour ne point tomber, car tout son être vacillait autour de cette pensée : « Il y a vingt ans, elle a franchi cette porte, une nuit comme celle-ci, une nuit de lune et de crime, et, pour elle, cette porte ne s’est jamais rouverte. » Et il gémit tout haut : « Elle est encore là ! »

Le son de sa voix, dans la nuit déserte, le rendit à lui-même. Il fit un effort pour reconquérir toute la force morale et physique dont il allait avoir besoin.

— Allons ! À l’œuvre ! murmura-t-il.

Et il entrouvrit son manteau. Il s’y trouvait cachés divers objets qu’il déposa par terre avec précaution. Ceci fait, il longea le mur au pied duquel il se trouvait jusqu’à ce qu’il fût en face de l’auberge du Bagne.

La masure profilait son ombre sur le sentier. Robert Pascal entra dans cette ombre et se retourna. Maintenant, il avait sur sa droite le mur et la petite porte plus bas. Alors, il vit bien qu’il n’y avait plus aucun doute à avoir sur cette petite porte, car, de l’auberge du Bagne on ne voyait, dans tous les murs nus qui formaient à eux seuls la rue des Saules, que cette porte-là.

Plus d’une fois, lors de ses rendez-vous chez la mère Fidèle avec cet être inexplicable qu’était M. Macallan, il s’était demandé et il avait demandé à la patronne des chourineurs quelle pouvait bien être cette sorte de propriété abandonnée où l’on ne voyait jamais entrer