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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/176

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longue. Il vit cela en se baissant et en ramassant la corde. La chaise longue suivit la corde. La corde avait des nœuds bizarres ; l’osier de la chaise longue était arraché par places. On eût dit qu’une main furieuse s’était acharnée contre ce meuble et, malgré le temps écoulé, on voyait parfaitement que ce n’était point l’usage qui l’avait détériorée ainsi, mais quelque rage ou quelque bataille. Et puis, la corde que Robert Pascal avait ramassée et qui était attachée à l’un des pieds de la chaise longue n’était point la seule, le jeune homme en découvrit une autre à l’un des bras de la chaise, et cette corde aussi était restée attachée là par un bout…

Comme la lanterne éclairait le parquet autour de la chaise longue, elle montra des débris d’osier et puis une loque de linge fin. Robert Pascal ramassa cette loque. La lanterne tremblait dans sa main.

Il quitta cette pièce. D’autres débris d’osier et encore un bout de corde qu’il n’avait point vus tout d’abord, et qu’il trouva dans le vestibule, entre la porte du fumoir et celle qui se trouvait en face, semblaient lui indiquer que l’on avait traîné la chaise longue de la pièce fermée par cette porte au fumoir qu’il venait de visiter. Il poussa donc la porte d’en face et voulut aller plus avant, mais il lui fut difficile de faire un pas sans risquer de tomber, tant ses pieds rencontraient d’obstacles. Sa lanterne sourde lui ayant montré, dans cette salle, deux fenêtres, l’une donnant évidemment sur l’ombre de la façade et l’autre donnant à coup sûr du côté du clair de lune, il imagina de se laisser glisser le long des murs et d’atteindre cette seconde fenêtre, qu’il ouvrit et dont il poussa les volets.

À flots blancs, la lumière lunaire entra dans cette pièce plongée dans l’obscurité depuis vingt ans et éclaira un désordre affreux.

Quelle orgie, suivie de quelles scènes de bataille, avait ainsi immobilisé, dans une confusion sans nom, tous ces témoins du passé : cette table où avait été servi un souper aussi dramatique que joyeux, s’il fallait en croire le nombre de flacons qui avaient roulé à terre, les coupes brisées dont les éclats jonchaient encore les tapis, cette nappe qui traînait à demi sur le parquet comme si elle avait été arrachée violemment par les doigts crispés de cette main sanglante, dont la trace semblait fraîchement imprimée. Ces fauteuils, ces chaises renversés. Et la table elle-même avait basculé, une patte rompue.

Une glace, au fond de la pièce, n’était plus qu’une prodigieuse étoile éclatée.

À pas lents et prudents, Robert Pascal fit le tour de ces choses, s’attardant à des détails, se penchant sur un objet imperceptible, restant longtemps courbé sur un pli de la nappe, s’agenouillant sur le tapis, promenant dans les rainures du parquet le jet écarlate de sa lanterne, puis, se relevant, la poitrine haletante, comme anxieux du