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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/205

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Ce jour-là, qui était celui où Teramo-Girgenti était allé au ministère de la guerre, Liliane était étendue dans une bergère de son boudoir, boudoir dans lequel elle n’avait pas encore permis à Sinnamari d’entrer depuis six mois que le procureur subvenait à tous les frais de la demi-mondaine. Mlle Nichette vint annoncer que Sinna demandait à la voir. Sinna était un diminutif charmant de Sinnamari, que ses amis lui donnaient souvent pour le flatter, car « Sinna » en arabe veut dire le Seigneur, le Maître, et que Liliane avait — pure ironie ! — adopté. Sans doute était-elle, ce jour-là, de bonne humeur, car elle sourit à Mlle Nichette et lui dit :

— Faites entrer ici !

Mlle Nichette fit une révérence à sa maîtresse et s’éloigna en murmurant : « Ce qu’il va être heureux, le singe ! »

Le singe, en effet, fut si heureux qu’il dut se faire répéter deux fois l’invitation de Liliane pour y croire. Mais Mlle Nichette le précédait déjà, lui ouvrait les portes, lui faisait traverser la chambre, qu’il n’entrevoyait jamais sans être prêt à défaillir comme un adolescent à ses premiers rendez-vous d’amour, et l’introduisait dans le boudoir. D’abord, il s’arrêta sur le seuil, contemplant Liliane dans un déshabillé, un peignoir léger qui laissait apercevoir presque librement la gorge admirable, et qui dessinait le mouvement de la hanche, la ligne de la jambe, le pied jouant négligemment avec la petite mule rose, agaçante. Nulle part plus que dans ce réduit intime, il ne l’avait vue plus désirable et il ne l’avait plus désirée.

Si Liliane fût restée deux secondes de plus à se polir négligemment les ongles, sans le regarder, il n’eût pu résister à la tentation ; il se serait jeté sur elle comme une bête. La soubrette était partie. Rien ne pouvait plus arrêter son élan… rien que le regard enfin levé de Liliane… Telles les bêtes fauves dans la cage, après avoir sournoisement préparé, dans le dos du dompteur, leur bondissement, reculent parce qu’il s’est retourné, tel Sinnamari prêt maintenant à s’agenouiller devant Liliane.

— Comment allez-vous, mon ami ? demanda Liliane en lui tendant une main qu’il baisa gloutonnement et qu’elle lui retira presque aussitôt, non sans marquer un recul de dégoût qui le fit sourdement gémir.

Car c’était ainsi. Chaque fois que cet homme l’approchait, elle n’était point maîtresse de cacher son instinctive horreur. Et pourquoi ? Elle n’eût pu le dire. Car Sinnamari était beau dans sa monstruosité morale et sa puissance physique. C’était un mâle magnifique que d’autres femmes, avec acharnement, se seraient disputé.

Mais elle, Liliane, pourquoi, elle qui ne pouvait le sentir près d’elle sans un frisson de dégoût, avait-elle permis son approche et lui avait-elle « laissé de l’espoir » ?… Pour l’argent ?… Non ! Il y avait d’autre argent que celui-là !… Pour se venger sur lui qu’elle était sûre de ne pas