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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/227

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provoquer de l’étonnement si on l’eût mise sur le compte du plaisir qu’elle avait de voir apparaître sur le seuil du cabaret son amant.

— Costa-Rica, s’écria Master Bob. Vous êtes en retard de cinq minutes, mon ami !… D’où venez-vous ?

— Du « Williams Bar », répliqua Costa-Rica en serrant la main de Master Bob. Et c’est elle qui m’a mis en retard… Elle n’est pas venue, mais elle me revaudra ça !…

— Qui, elle ? demanda la Mouna, curieuse.

— Mon notaire ! répondit Costa-Rica, ironique et énigmatique.

Le Vautour daigna sourire, car sans doute comprenait-il l’expression de Costa-Rica. La Mouna, elle, qui ne se fatiguait jamais à comprendre, entreprit à nouveau le Professeur ; elle lui présenta son amant, elle présenta tout le monde. La pompe à bière ne cessait point de couler aux frais de M. Macallan. Le gnome, qui s’était glissé auprès de la Mouna, recevait d’elle, sous la table, le sifflet qu’elle avait dérobé au Professeur…

— Qu’est-ce que nous sommes venus faire ici ? demanda maussadement Costa-Rica.

— Mon chéri ! répondit la Mouna, j’avais tant envie de revoir le lieu où pour la première fois j’ai fait connaissance avec la grande vie de Paris !

Costa-Rica parcourut d’un regard dégoûté le cabaret avec son extravagante décoration, ses pots d’étain, ses plats de faïence, ses hallebardes, ses panoplies branlantes, ses caricatures. Costa-Rica était habitué à un autre luxe. À côté de lui, le Vautour, le profil immobile, les paupières mi-closes, semblait somnoler ou réfléchir, ou… attendre quelque chose. Celui qui l’eût bien observé aurait vu que sous l’apparente indifférence de sa tenue, il tournait incessamment ses yeux du côté de la petite porte qui donnait sur le porche de l’hôtellerie.

La partie de dames continuait sous la direction de la Mouna. Costa-Rica regardait sa maîtresse. Ah ! comme elle le tenait ! Et sans qu’on sût pourquoi, car elle n’était pas excessivement jolie. Il le savait peut-être, lui.

Costa-Rica, regardant sa maîtresse, se taisait. Il pensait. Le malheur est que, chaque fois qu’il commençait maintenant à penser à elle, il finissait par penser à lui, à celui qu’il avait tué à cause d’elle !…

En vain essayait-il de se tromper, de se répéter qu’il n’avait rien à craindre, que son crime resterait à jamais ignoré — n’avait-il pas trouvé un merveilleux alibi ? Non, non, il n’était point tranquille, car toujours, toujours se dressait devant lui une figure… un visage de femme… un pauvre visage souffreteux qui lui était apparu certain jour, à certaine heure… dans un certain escalier… quand il redescendait du crime !…

Oui, au moment où la porte refermée sur le cadavre du suicide, il fuyait… ce visage de femme lui avait barré la route… ces yeux l’avaient