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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/228

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fixé comme s’ils devinaient quel geste il venait d’accomplir… Quelle était cette femme ? Il ne savait pas !… Mais ce qu’il savait bien, au fond de lui, c’est que, pour sa sécurité, il valait mieux qu’il ne rencontrât plus jamais ce visage-là…

Il fut tiré de sa songerie par une voix de femme qui demandait à M. Thiébault « de lui céder un bout de bougie ». Costa-Rica leva la tête. Il vit devant le comptoir, lui tournant le dos, deux femmes, l’une grande, élancée, l’autre petite, courbée, grelottante sous un mauvais châle dont elle s’enveloppait honteusement. Le père Thiébault donna la bougie demandée, et les deux femmes se retournèrent. Costa-Rica eut besoin de toute son énergie pour retenir un cri d’angoisse et de terreur, mais il eut un mouvement si brusque que M. Macallan fut bousculé.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda M. Macallan, dont les yeux semblaient dévorer Costa-Rica.

Costa-Rica ne répondit pas. Il n’entendit peut-être pas… Il regardait… de tous ses yeux il regardait… Il eût voulu fuir… et il ne le pouvait pas… Et soudain il y eut un cri déchirant, le cri de la petite femme voûtée, de la femme au châle :

Lui !

Et elle chancela… Mlle Desjardies dut la retenir.

— Qu’avez-vous ? demanda-t-elle anxieuse.

Alors, la femme montra l’homme, d’un geste sauvage…

— Lui ! répétait-elle, celui dont je vous ai parlé… Lui, qui était à ma porte, le jour où mon mari s’est suicidé !… L’inconnu de l’escalier… C’est lui… je vous dis que c’est lui !…

Et Costa-Rica ne pouvait détacher son regard épouvanté de ce visage qui le fixait… qui l’accusait… lui !… Elle !…

La femme au châle ne parla plus… Costa-Rica ne pouvait prononcer un mot, et ils continuaient de se regarder tous les deux avec horreur.

La femme s’approcha. Costa-Rica recula.

— Que me voulez-vous, madame ? interrogea-t-il d’une voix rauque… Je ne vous connais pas.

Le père Thiébault était accouru.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandait-on…

— Bah ! répliquaient certains, c’est la folle… la pauvre folle !… Car cette femme, depuis qu’elle habitait l’hôtellerie, avait eu des allures telles, parlant toute seule parfois, chantant et pleurant tour à tour, sans raison, affirmant à tous que son mari ne s’était pas suicidé, mais avait été tué, qu’on avait pensé que son cerveau était dérangé…

Tout à coup la folle cria dans la figure de Costa-Rica, qui essayait en vain de reconquérir son sang-froid :

— Moi, je te connais !… C’est toi qui as assassiné mon mari !…