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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/240

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ordinairement si beau et dont les traits affectent dans le monde une si noble indifférence !… Quelle figure ravagée !… Quel désespoir l’a ainsi transformé ?… Et, si quelque douleur cachée le fait souffrir à ce point, pourquoi est-il venu ?… Pourquoi se tient-il aux côtés de ce jeune vieillard joyeux ?

C’est que celui-ci lui a promis, pour ce soir, une réponse… une réponse à une question terrible : « Où sont les deux petites jumelles du colonel Régine ? » Il est là pour la même raison que le colonel Régine et la colonelle elle-même qui s’y trouvent. Le même désespoir est peint sur leurs figures, et personne ne s’en étonne, car on sait quel malheur les a frappés : on a volé les deux petites jumelles du colonel Régine ! Mais tout le monde, tout le monde s’étonne — et c’est dans la galerie des glaces un murmure hostile — que, puisqu’on a volé leurs enfants, les parents, dont le désespoir n’étonne pas, aient trouvé bon de venir à cette fête, de venir à une fête quelconque !…

Pourquoi ? Pourquoi sont-ils là ? Qu’est-ce qu’ils font là ? On leur a promis une réponse. Qui ? Où ?… Cet homme terrible, extraordinaire, l’ami de R. C. !… Teramo-Girgenti… L’ami de R. C. !…

Elle est venue cependant ; elle s’est habillée tout de noir, comme si elle portait déjà le deuil. Elle défaille aux bras du colonel Régine, qui est aussi pâle que sa femme, aussi pâle que Philibert Wat… Comme au milieu de ces trois êtres, images de l’angoisse et de la mort, Teramo apparaît vivant, bien vivant, heureusement et terriblement vivant ! La colonelle essaie de parler, elle ouvre la bouche, des larmes coulent de ses yeux, elle implore, et, auprès d’elle, le colonel, de toute son attitude, de tout son silence, implore… Et Philibert Wat implore…

À tant de douleur, Teramo-Girgenti sourit enfin…

— Madame, dit-il, j’ai fait votre commission… Vous saurez tout à l’heure, madame, pourquoi on vous a volé vos enfants !…

La malheureuse veut des explications, tout de suite… mais le comte lui a déjà échappé et s’avance, les mains tendues, vers deux nouveaux arrivants, cependant que l’huissier clame :

M. Sinnamari, procureur impérial ! M. Eustache Grimm, directeur de l’Assistance publique !…

Sinnamari, physiquement et moralement, n’était jamais apparu aussi fort. Cet homme dégageait de la puissance. Le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles, son silence même disaient la pleine confiance qu’il avait dans son étoile. Certes, il avait des ennemis, mais ces ennemis surtout lui accordaient un courage qui n’était égalé que par son audace et ses succès. Il sentait que cette soirée était dirigée contre lui, sans qu’il en pût dire les raisons : il ne pouvait même pas soupçonner en quoi elle le menaçait…

N’importe, il était venu ! Et s’il était venu, ce n’était point seulement pour obtempérer au désir de sa maîtresse, Liliane d’Anjou, qui lui