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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/239

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Il n’y avait plus un seul de ces volatiles criards dans l’hôtel. Sur les ordres du comte, ils avaient tous été rejetés sur le marché qui s’en était trouvé encombré. Pendant vingt-quatre heures, on put avoir à Paris un perroquet pour deux sous.

Quant à l’hôtel lui-même, c’était, à vrai dire, un musée, ou plutôt, ce qui répondra mieux à la vérité, une collection de musées. Musée d’armes, galeries de tableaux, musée d’orfèvreries, tapisserie-musée, musée de céramique, et chaque pièce à elle toute seule était un musée pour l’ameublement.

Les invités, reçus sur le perron par une livrée flamboyante « tout en or » et qui eût pu sembler de mauvais goût de la part de tout autre que de Teramo qui prétendait avoir le pouvoir de transformer en or tout ce qu’il touchait ; les invités, disons-nous, étaient présentés par Philibert Wat au comte, qui se tenait sur le seuil de la galerie des Glaces ; puis ils se répandaient dans le palais en attendant l’heure du dîner, ravis, éblouis, fascinés, enthousiastes.

Ceux qui gardaient quelque sang-froid se demandaient en face de tant de richesses « dont on ignorait l’origine », ce que cela voulait dire.

En connaisseurs à qui « on n’en fait pas accroire », ils palpaient, touchaient, caressaient, scrutaient, et ils étaient au bout du compte obligés d’avouer que ce n’était point là un décor de théâtre. Cependant, il y avait bien un théâtre, mais il était à sa place, comme toutes choses. On disait même que le comte avait sa troupe, à la tête de laquelle se trouvait Marcelle Férand, qui allait jouer, ce soir-là, aux côtés de la belle Liliane d’Anjou, son élève.

Mais toutes ces curiosités, ces enthousiasmes, ces étonnements, ces stupéfactions, après avoir fait le tour de l’hôtel, revenaient dans la galerie des glaces, où se tenait toujours le comte, recevant ses invités, car le plus curieux, dans l’hôtel, c’était encore Teramo-Girgenti lui-même. D’où venait-il ? Où allait-il ? Que voulait-il ? C’était le mystère fait homme.

Ce soir-là, il paraissait radieux. Ses yeux flambaient d’une vie effarante chez un vieillard. Un vieillard, lui ?… C’est à peine si on voulait croire à ses cheveux blancs ! Quel jeune homme eût présenté une taille plus droite, plus noble et plus fière ?… Il se cambrait dans son habit noir comme on se cambre à vingt ans. La souplesse de ses mouvements, la grâce de ses manières, tout était jeune chez cet ancêtre qui prétendait avoir connu Périclès.

Regardez-le s’incliner, dans le moment, devant la colonelle Régine, qui vient d’arriver ; et regardez-le se relever surtout après lui avoir baisé la main et dites-moi qui est le plus vieux, de ce vieillard ou de cet homme qui se tient à ses côtés, et qui est, comme on dit, « dans toute la force de l’âge » ! Ah ! Que Teramo-Girgenti est jeune ce soir ! Et que Philibert Wat est vieux !… On ne le reconnaît plus… Lui qui porte