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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/250

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devait être qu’un traité de brigandage. Ce traité-là, ils le respectèrent si bien qu’au jour où nous sommes, il existe encore.

» L’un de ces jeunes gens entra dans la magistrature, l’autre dans l’armée, le troisième dans l’administration. Pas un instant ils ne se perdirent de vue, s’entraidant, usant de leurs relations communes, abusant du secret surpris par l’un pour se pousser dans la carrière tous les trois, s’encourageant à perdre tout scrupule, se félicitant des pires moyens devant les meilleurs résultats. Le chef de la bande était le magistrat. Au fond, il est probable que les autres n’eussent point existé sans lui. Ils auraient végété dans quelques postes subalternes, commettant d’insignifiantes vilenies et regrettant l’occasion qui ne se serait jamais présentée de faire la fortune qu’ils rêvaient. Mais le magistrat était un être vraiment doué. Tout jeune encore, il était nommé substitut à Paris et il avait déjà, chez le garde des sceaux, une réputation établie d’intelligence et d’audace qui lui firent demander certains services difficiles, dont eurent à pâtir certains hommes politiques devenus, depuis, illustres.

» L’habileté et le cynisme de notre substitut étaient tels que loin de lui nuire dans l’esprit de ces politiciens, lorsque à leur tour ils arrivèrent au pouvoir, ceux-ci s’en souvinrent avec un empressement heureux et ému, qui pourrait étonner si la philosophie des révolutions n’était pas là pour nous faire souvenir qu’il n’y a pas deux façons de gouverner et que les plus bas besoins de la conservation politique forcent les plus honnêtes gens du monde à se servir des plus abominables crapules ! Il n’est pas tous les jours facile de trouver des gens qui se chargent du service de la voirie, par exemple, qui est cependant la première des besognes dans une société bien policée puisqu’elle assure la « tranquillité dans la rue ! » Balayer les perturbateurs, ramasser les ordures révolutionnaires, charger le panier à salade, sans se préoccuper au juste de ce qu’on y met, jeter au cachot d’aisance tout ce qui embarrasse le corps de l’État, c’est là un travail qui demande aussi peu d’odorat que de conscience ! Mais il faut un cœur solide ! Notre substitut avait le nez bouché et un cœur de pierre !

» Grâce à lui, l’association prospérait. Chaque étape franchie sur la route de la fortune par l’un des associés était fêtée joyeusement. Mais il est permis d’affirmer, à ce propos, que rarement fête fut plus gaie que celle que le jeune substitut donna à ses deux camarades à l’occasion de l’enterrement de sa vie de garçon ! D’autant plus joyeux que ce devait être également l’enterrement d’une vie de médiocrité et de modestie pécuniaire qui touchait parfois, vu les goûts du monsieur, à la gêne. Notre magistrat n’était point riche et il allait épouser une dot de deux millions.

» Huit jours avant cet heureux événement, il avait convoqué à Chatou, chez un restaurateur bien parisien, ses deux camarades.