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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/251

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Quelques dames de mœurs faciles, devaient être de la partie. Elles ignoraient à qui elles avaient affaire et avaient été envoyées chez le restaurateur par les soins d’une entremetteuse de luxe qui avait la clientèle ordinaire de ces messieurs. Le restaurateur, prévenu, fit entrer tout ce joli monde dans un cabinet particulier, dont les fenêtres donnaient sur le bord de l’eau. Juste au-dessous de la fenêtre, il y avait une terrasse où quelques couples bourgeois déjeunaient à des petites tables.

» Ces dames, qu’on avait fait entrer dans le cabinet, étaient au nombre de quatre. Pourquoi quatre, puisque ces messieurs étaient trois ? Fallait-il expliquer ce chiffre par une erreur de l’entremetteuse ou par le beau zèle d’une marchande de chair humaine qui connaît l’appétit de ses clients ? Toujours est-il que si le mariage de ce cher substitut manqua — car il manqua — ce fut à cause de la « quatrième ». Qui des quatre devint la quatrième ? Celle qui fut laissée pour compte par les trois, naturellement. Voici comment les choses se passèrent et comment un déjeuner qui avait commencé comme une partie de plaisir se termina sur l’un des plus sombres drames que les annales de la justice aient eu jamais à enregistrer.

» Le repas s’était passé fort gaiement, du moins pour six des convives. La délaissée, la moins belle sans doute, se tenait debout devant la croisée refermée, d’où elle apercevait le spectacle familial des groupes bourgeois achevant de déjeuner sur la terrasse. Derrière elle, quelques exclamations, cris étouffés, rires, protestations vite calmées, bruits de baisers, lui apprenaient qu’on ne s’ennuyait pas dans le cabinet particulier, ce qui, du reste, n’était pas pour l’étonner. Elle en avait entendu et vu bien d’autres. Seulement, était-ce ce jour-là le contre-coup de la solitude parfaite dans laquelle on la laissait… Toujours est-il qu’elle ne put retenir un geste d’exaspération énervée en entendant les hâbleries débitées dans son dos par les trois personnages masculins qui se vantaient qu’aucune femme jusqu’à ce jour n’avait pu leur résister.

» — Bah ! fit-elle, sans se détourner. Il y a des femmes que vous n’aurez jamais.

» — Lesquelles ? demandèrent les trois hommes.

» — Les honnêtes femmes !

» — Elles sont plus faciles « à faire » que les autres ! répliqua le magistrat, qui enterrait sa vie de garçon et qui avait bu, ce jour-là, plus qu’il n’avait coutume.

» — Et vous vous mariez ? demanda la demoiselle qui avait appris ce détail pendant le repas et qui se tenait toujours debout devant la fenêtre.

» — Je n’épouse point ma femme pour son honnêteté, répliqua-t-il