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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/260

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alors dix heures du soir. L’orfèvre, après avoir fait de méticuleuses recommandations à la garde-malade, sortit. Il prit le train pour Enghien. Il avait un revolver chargé dans sa poche. Il se rendit à la maison du bord de l’eau. Il trouva la porte ouverte. Il entra, et, ne rencontrant personne, il traversa plusieurs pièces, dont les portes étaient également ouvertes. Il arriva au pied d’un escalier. Guidé par une faible lumière, venant d’un bec de gaz qu’on avait laissé brûler à demi, il gravit cet escalier. Arrivé sur le palier, il frappa du poing assez fortement contre une porte, la première qu’il rencontra. Cette porte s’ouvrit. Un homme en chemise, la figure ensommeillée, grelottant de froid et de peur, se présenta.

» — C’est vous qui êtes le propriétaire de cette maison ? demanda l’orfèvre, le plus posément du monde.

» L’autre, qui ne pouvait parler, fit signe que c’était lui. Alors, l’ouvrier sortit son revolver de sa poche et en déchargea sur le propriétaire trois coups en pleine poitrine. Notre fonctionnaire, ainsi frappé, s’affala et l’ouvrier le crut mort. Une porte s’ouvrit au-dessus et un garçon, qui servait de domestique, tantôt au fonctionnaire, tantôt au magistrat, tantôt à l’officier et que chacun de ceux-ci prisait pour son intelligence et son astuce débrouillarde, un nommé Didier, accourut au bruit. Il vit son patron sur le palier, râlant. Le revolver fumait encore dans la main de l’inconnu. Didier voulut fuir.

» — Ne fuyez pas, lui dit l’ouvrier, arrêtez-moi et conduisez-moi chez le commissaire de police. Je viens de tuer cet homme qui a insulté ma femme.

» L’orfèvre fut conduit chez le commissaire de police, qui vint faire immédiatement une enquête. On constata que cette nuit-là même la maisonnette du bord de l’eau avait été dévalisée de ses bibelots de prix ; l’enquête établit que la femme de l’orfèvre était venue en ces lieux la veille et avait pu se rendre compte de la valeur unique des objets et, grâce à cette effroyable coïncidence d’un vol dont on n’a jamais retrouvé les auteurs et d’une légitime vengeance, les magistrats d’abord, le juge ensuite furent persuadés que l’ouvrier orfèvre avait tué le fonctionnaire au moment où celui-ci le surprenait dans sa besogne de rapt.

» Les complices s’étaient enfuis, naturellement, emportant le butin et l’on ne cessa, jusqu’à la dernière minute du procès, de demander à l’orfèvre de livrer leurs noms. La femme, interrogée, malgré son état presque désespéré, déclara que son mari avait voulu la venger d’un attentat dont le fonctionnaire, propriétaire de la villa d’Enghien, s’était, la veille, rendu coupable envers elle.

» Il fut facile de prouver qu’elle mentait puisque ledit propriétaire était absent de sa maison, à l’heure même où elle s’y était présentée, et qu’il fut constaté qu’il avait passé la fin de la journée chez des amis du