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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/259

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le mari à tromper était ouvrier orfèvre, servirent de prétexte à nos jeunes gens pour entrer en relations immédiates avec le ménage.

» Le fonctionnaire écrivit à l’orfèvre qu’il avait un travail très pressé à lui commander autour de bibelots précieux qu’il venait d’acquérir. Il le priait de faire dès le lendemain le voyage d’Enghien. Nos trois amis se trouvaient le lendemain à Enghien. Si c’était le mari qui venait, le magistrat devait immédiatement prendre le train pour Paris et aller trouver la femme chez elle, mais il se pourrait fort bien que le mari envoyât sa femme à Enghien. C’est ce qui arriva. C’est la femme qui vint. Elle fut introduite par une porte du pavillon pendant que les deux amis du substitut sortaient par une autre.

» Le magistrat et la femme de l’orfèvre étaient seuls dans cette maisonnette abandonnée, au bord du lac. D’abord, la femme ne se douta de rien, car le substitut lui montrait les bibelots dont il avait été question comme s’il en avait été le réel propriétaire, et il ne lui parlait que de l’ouvrage qu’il désirait confier à son mari. Et puis, à propos d’une miniature un peu leste, le magistrat en profita pour faire comprendre à cette femme qu’il n’était pas resté insensible à ses charmes, et qu’il savait apprécier la beauté partout où elle se trouvait, même chez une femme d’orfèvre.

» La malheureuse, stupéfaite, voulut fuir. L’homme la retint malgré elle, lui faisant les offres les plus outrageantes et la pressant si bien que la femme, un moment, n’eut plus qu’une ressource, celle d’ouvrir une fenêtre, d’appeler au secours. Personne ne venait, personne ne l’entendait ; le soir était tombé ; elle se vit au milieu de ce désert, la proie d’un être brutal dont la passion était exaspérée par la résistance acharnée qu’on lui opposait. La fenêtre était ouverte. Elle sauta. Elle sauta dans le noir. Elle pouvait sauter dans le lac et se noyer. Elle tomba sur une pelouse, se releva sans blessure et se mit à courir comme une folle.

» La nuit était opaque, on n’y voyait pas à deux pas devant soi ; il pleuvait à verse. La malheureuse courait… courait… elle ne rencontra personne… elle ne savait plus ce qu’elle faisait… Elle croyait avoir pris le chemin de la gare, elle avait pris la route opposée, celle qui conduisait à Paris. Et puis elle se trompa encore, se perdit dans des terrains vagues… Elle courut ainsi des heures, sous la pluie… Enfin elle arriva à Paris à l’aurore. Et dans quel état ! Elle eut encore la force de donner son adresse à un fiacre maraudeur qui la recueillit, puis elle arriva chez elle. Son mari, d’abord, ne la reconnut pas. On devine dans quelle terrible angoisse l’ouvrier orfèvre avait passé la nuit. Les médecins arrivèrent et diagnostiquèrent une pleurésie.

» Bien que l’avis des médecins fût que l’on ne fatiguât la malade d’aucune question, le mari voulut savoir ce qui était arrivé à sa femme, et celle-ci, dans un moment de lucidité, put le lui apprendre. Il était