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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/263

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aventure d’une voix si singulièrement indifférente qu’on eût pu se demander si la volonté même qu’il avait de marquer une telle indifférence ne trahissait pas plus sûrement une émotion profonde que le trouble le plus évident.

« La mère, dit-il, avait juré de venger son mari. Elle revint à Paris. Elle retrouva facilement la piste de la victime de l’orfèvre, de celui qui avait failli périr sous ses coups. Elle ne reconnut point en lui l’homme qui, une nuit, à Enghien, avait tenté de la violenter, mais le hasard fit que, dans un ami qui venait voir celui-là, à domicile, elle retrouva le monstre cherché, la cause de tant de maux, de ruine, de sang et de désespoir. Elle sut à qui elle avait eu affaire ; elle résolut de le tuer de sa propre main. Elle s’arma d’un couteau dans le dessein « de lui couper la gorge comme on avait fait à son mari ». Ce sont là ses propres expressions consignées dans un rapport fort intéressant et fort passionnant qu’elle écrivit pour qu’il fût plus tard mis sous les yeux de ses enfants, s’il lui arrivait quelque malheur.

» Elle suivait le magistrat depuis quarante-huit heures et n’était point parvenue à le joindre, dans des conditions propices au projet qu’elle méditait, quand un soir elle put sauter dans un fiacre et faire suivre celui qui emportait le substitut. Les deux fiacres s’arrêtèrent devant un cabaret de nuit. Le substitut descendit le premier. La femme était déjà sur ses pas. Elle l’entendit qui demandait si ses amis étaient arrivés dans le cabinet de… Je ne dirai point le nom, un nom propre, paraît-il, bien connu, mais moi je ne le connais pas ; à cette heure, seul R. C. le connaît et il ne m’en a point fait la confidence… Le valet de pied répondit affirmativement, et rapidement l’homme gravit l’escalier. La femme, enveloppée d’un ample vêtement et dissimulant son visage sous une épaisse voilette, monta derrière lui ; on la laissa monter sans rien lui demander. On crut qu’elle était avec cet homme.

» Quand l’homme entra dans le cabinet, elle y entra derrière lui et repoussa la porte derrière elle. Mais aussitôt elle poussa un cri ; elle avait cru se trouver seule dans ce cabinet avec le substitut. Deux personnages s’y trouvaient déjà : vous avez deviné lesquels : c’étaient le fonctionnaire entièrement guéri de ses blessures et l’officier. Ils étaient dans un état d’ébriété avancée et saluèrent l’entrée de leur ami et de cette femme inconnue par des cris insensés. Le magistrat se retourna et fut stupéfait. La femme voulut fuir, mais tous trois la retinrent et ils poussèrent les verrous. Elle se débattait. Le fonctionnaire parvint à lui enlever sa voilette. Alors, ils reculèrent d’un même geste, car ils avaient reconnu la femme de Chatou !

» Celle-ci, profitant de ce mouvement de stupéfaction, avait bondi sur le substitut, brandissant un large poignard dont elle était armée et qu’elle avait jusqu’alors dissimulé sous ses vêtements. Le magistrat parvint à parer le coup dont elle le frappait. La lame, cependant,