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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/265

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anxieusement la minute de son réveil. C’était le magistrat. Il lui dit à peu près ceci : qu’il s’était conduit vis-à-vis d’elle comme un infâme, mais qu’il l’aimait à ce point qu’aucune infamie ne lui coûterait encore pour qu’elle restât sa maîtresse ; qu’elle devait comprendre qu’il n’y avait plus pour lui de salut après ce qu’il avait fait, que dans l’oubli de sa victime et la bonne volonté d’une femme qui, si elle se laissait aimer, n’aurait point par la suite, à le regretter ; avec un cynisme d’une inconscience magnifique, il lui promit de veiller sur elle et sur ses enfants jusqu’à la mort.

» — Jusqu’à quelle mort ? demanda la malheureuse.

» — Jusqu’à la vôtre, madame, répliqua le magistrat.

» Elle avait compris. On lui donnait à choisir entre l’amour et la mort. Chose bizarre, mais qu’il n’est peut-être point si difficile d’expliquer, elle ne rebuta point tout de suite son terrible amant ; et celui-ci, à la suite de cette importante entrevue, pensa qu’à la longue ses affaires finiraient peut-être par s’arranger ! Au fond, la pauvre femme ne songeait qu’à la vengeance et elle ne demandait plus à Dieu qu’une chose, c’est qu’il lui donnât assez de force pour la mener à bien.

» Elle l’a écrit, et j’ai eu, moi, cette confession suprême sous les yeux. Elle voulait avoir la tête du magistrat. Il lui fallait sa tête !… Mais sa tête détachée du tronc ! Elle voulait lui couper la tête et jouer avec ses doigts dans ses cheveux ! Elle était dans un état qui confinait à la folie, et nul ne s’en étonnera, surtout si l’on songe que son exceptionnel état moral coïncidait avec cette situation physique si particulière d’un début de grossesse. Oui, la malheureuse était enceinte… c’est le dernier mot qu’elle a écrit sur ces papiers qui, par un hasard miraculeux, devaient un jour tomber entre les mains de son fils !… « J’étais enceinte !… »

» Que se passe-t-il dans la petite maison de Montmartre ? Quelles orgies ! Quels supplices ! Cette femme eut un geôlier, le domestique d’Enghien, le nommé Didier. Il ne devait plus la quitter. Il observait une rigoureuse consigne. Il ne s’absentait, pour les provisions, que la nuit, lorsque ses maîtres étaient près de sa prisonnière. Elle n’avait, elle, même point le droit de se promener dans le jardin. On redoutait ses cris, ses appels. Les narcotiques, la fatigue, le sommeil factice durent la livrer souvent sans défense à ses bourreaux. Du reste ses projets de vengeance n’avaient point été difficiles à percer et sa pauvre diplomatie n’eut aucun succès.

» Le magistrat vit bientôt qu’il n’avait rien à attendre de cette femme que la mort et il en joua si bien qu’il parvint à n’en prendre que l’amour ! Et il l’aima ! Mon Dieu, oui, il l’aima. Il en eut la passion ! Il était ainsi fait que l’affreuse révolte que dressait en face de lui cet être qui le haïssait de toutes ses forces, excita sa passion ! Il l’aimait à cause de la souffrance qu’il lui donnait. Il l’aimait à cause de sa haine ! Elle fut traitée comme une esclave. Il la fit attacher pour qu’elle fût à lui