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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/266

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sans danger pour lui. Une chaise longue fut transformée en lit de supplice… Le sadisme du maître réduisit la malheureuse à n’être plus entre ses mains qu’un objet inerte d’abominable volupté ! Elle n’en mourut point, parce que déjà elle était folle. Les mémoires dont j’ai parlé tout à l’heure le prouvent… Elle n’en mourut point et ne s’en suicida point parce qu’elle se disait encore au fond du chaos de sa pensée délirante : Je le tuerai ! Je le tuerai ! Je lui couperai la tête ! Et je jouerai avec mes doigts dans ses cheveux !

» Un jour, vers midi, un jour d’été, un jour qu’elle avait reconquis quelque lucidité, elle parvint à échapper à la surveillance de Didier et à fuir le pavillon. Elle n’alla pas loin. Le geôlier la rejoignit dans le jardin et la fit rentrer, malgré ses gémissements, dans sa prison. Ce jour-là, elle fut entendue du dehors et elle perçut une voix qui disait dans la rue, derrière la porte du jardin : « Qui appelle comme ça ? » Et une autre voix répondit : « Ne t’occupe donc pas de ces histoires-là ! »

» Toutes ces horreurs qui semblaient avoir eu d’abord pour but de faire mourir de sa belle mort la malheureuse furent dépassées par une horreur plus grande encore, qui consistait maintenant à faire vivre la malheureuse !… Oui, maintenant, il voulait qu’elle vécût !

»… Il voulait qu’elle vécût ! Sans doute, la souffrance de cette lamentable créature était-elle devenue nécessaire à la joie de vivre de ses bourreaux, car l’occasion s’étant présentée d’une mort naturelle et probable pour la victime, notre substitut ne parut point tout d’abord vouloir en profiter, et malgré le danger qu’il courait personnellement en introduisant une étrangère dans une pareille aventure, il amena près de la malheureuse, dans le moment que celle-ci ne put plus lui cacher qu’elle était enceinte, une sage-femme à qui il avait fait donner la forte somme. Cette sage-femme vint deux fois, la nuit. Didier la connaissait, c’était une amie à lui. Elle consentit à se laisser bander les yeux et fut conduite dans la maison de Montmartre avec mille précautions. La seconde fois, quand elle partit, elle emportait un paquet. Dans ce paquet, il y avait un enfant vivant qu’elle déposa, dans la nuit du lendemain, suivant les instructions qu’elle avait reçues, sur le banc devant l’administration des Enfants assistés.

» Après cette complaisance, la sage-femme put se retirer des affaires. Elle avait promis de ne jamais chercher à pénétrer le mystère de la naissance de l’enfant. On s’était arrangé de telle sorte qu’elle ne sût point dans quel lieu de la capitale elle avait été appelée à donner des soins aussi exceptionnels. Toutefois, elle se rappela qu’avant de pénétrer dans un jardin, et se trouvant encore dans la rue, une voix étrange et qui ne pouvait être que celle d’un perroquet, attendu qu’une autre voix lui avait répondu : « Veux-tu te taire, Jacquot ! » lui avait soudain déchiré les oreilles, et cette voix disait : « Tu es la Marguerite des Marguerites ! Tu es la perle des Valois ! »