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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/284

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moyens qui dépassent les forces humaines. Sinnamari lui-même semblait avoir perdu la libre disposition de ses esprits, et l’on fut tenté de croire un instant que, vaincu par un rare adversaire, il allait prononcer, sous l’ascendant de cette puissance hypnotique qui annihilait en lui toute velléité de défense, les paroles définitives de l’aveu !…

Mais voilà qu’un événement, un tout petit événement se produisit qui changea soudain la face des choses et brisa comme verre la victoire de Teramo.

Nous disons « comme verre ». Et ce fut du verre qui fut brisé en effet, un carreau… La fenêtre que Sinnamari avait si obstinément tenue fermée dans un coin du salon attira subitement tous les regards… car le bruit d’une vitre en éclats, traversée d’un caillou qui vint rouler jusqu’aux pieds du Procureur, se fit entendre dans le silence, qui avait suivi ces mots : « Je Sais maintenant où est le cadavre ! » Et pendant que tous les regards étaient encore sur cette vitre éclatée, Sinnamari, transformé, reconquis, Sinnamari, le feu aux pommettes, et le regard fulgurant, penché sur le comte, lui disait entre les dents :

— Pas un mot de plus, comte Teramo-Girgenti, ou vous pourrez annoncer à votre ami que je ferai souffrir à sa fiancée tous les supplices endurés par sa mère… Pas un mot de plus, ou tremblez ! Car Gabrielle Desjardies est en mon pouvoir !…

Si bien que lorsque l’assistance se retourna vers le comte et vers le procureur, elle vit que c’était le procureur qui maintenant menaçait et le comte qui tremblait.

Que s’était-il donc passé en une seconde ? Nul ne pouvait le supposer, mais chacun comprit que le tout-puissant magistrat n’avait point partie perdue et qu’il n’était pas temps encore de le renier !

Appuyé contre la muraille, non loin de l’impassible exécuteur des hautes œuvres de R. C., de l’immobile bourreau rouge toujours appuyé sur son énorme glaive, le pauvre être qu’était M. Macallan semblait agoniser en face de l’attitude nouvelle des deux personnages.

— J’en mourrai ! murmurait-il en appuyant la main sur son cœur… J’en mourrai !… What a fearful sight (Quel spectacle effrayant !)

Quant à Liliane, elle regardait le comte et ne comprenait plus… et tous ceux qui ressentaient une grave sympathie pour le comte : Raoul Gosselin, Marcelle Férand, Philibert Wat lui-même, qui le craignait et cependant n’espérait qu’en lui… ne comprenaient plus…

Tout à coup, il y eut un grand brouhaha. Une voix criait « Le comte de Teramo-Girgenti ! Le comte de Teramo-Girgenti ! » Cette voix venait des pièces lointaines et était accompagnée de tumulte, d’un bruit de bataille… Tout le monde s’était tourné vers la porte grande ouverte par où parvenait ce tintamarre. Et l’on vit arriver comme une trombe un grand corps tout déchiqueté, couvert d’habits en loques, la figure en