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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/304

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le battre. Or, il ne pouvait venir à l’idée de Sinnamari que quelqu’un fût suffisamment armé contre lui pour vaincre.

Même après les avertissements formidables de la veille, même après cette résurrection d’un crime qu’il croyait inconnu des hommes, le procureur ne doutait point de sa force ni de son triomphe final. Et même, en cette minute où il était averti qu’il allait se trouver face à face avec son pire ennemi, car cette lettre n’eût rien signifié si le projet qu’elle annonçait ne devait pas être suivi d’exécution, alors qu’il s’attendait à voir sa porte s’ouvrir devant le fils de celui qu’il avait fait exécuter comme un vil assassin et de celle qu’il avait traitée comme la dernière des filles… Ce n’était point par l’aléa tragique d’une pareille et si imminente rencontre que son esprit était occupé…

Certes, s’il n’avait pensé qu’au drame prochain, il n’eût point montré ce sourire, ces yeux en fête, cette démarche « avantageuse », cette fièvre heureuse enfin qui ne lui permettait point de se tenir en place… En vérité, Sinnamari, par son exceptionnelle attitude, manifestait ce genre si spécial de « transport », si nous pouvons ainsi nous exprimer, qui habite le cœur des amoureux avant le rendez-vous qui doit combler leurs désirs… ou après la victoire…

Nous pouvons affirmer tout de suite qu’une trop longue expérience des atermoiements décevants auxquels se complaisait Liliane dès qu’il s’agissait de « couronner la flamme » de ce prodigieux magistrat, avait suffisamment instruit celui-ci de ne se réjouir de rien avant que de tenir, pour que nous puissions juger à coup sûr qu’il n’avait tant de joie que pour avoir tenu…

Et c’était ainsi. Il avait tenu, cette nuit même… il avait tenu enfin Liliane… Il l’avait tenue autant qu’amant au monde puisse tenir physiquement sa maîtresse… il l’avait tenue comme une chose à lui, et elle l’avait « retenu », lui, comme une chose à elle.

Et elle lui avait si longuement et si complètement, ma foi, prouvé son amour, qu’il eût été impossible de comprendre rien à quoi que ce fût s’il avait douté de son amour ! Liliane l’aimait !

Tout lui souriait… N’était-il point armé contre R. C. d’une façon inattaquable avec cette Gabrielle Desjardies, que Dixmer avait réussi à mettre en son pouvoir ? Et le fameux crime d’antan, après tout, était-il démontrable autrement que par l’exhibition du cadavre dans sa propriété de la petite rue des Saules !… Or, où était-il, le cadavre ?… Qui pouvait, en dehors de lui, dire où il était ? Le Teramo ?… La scène de suggestion, lorsqu’il s’était emparé de sa main, lui aurait révélé où était le cadavre ?… Allons ! Allons ! Et puis, même si on savait, il faudrait aller le chercher, le cadavre ! Et il était bien décidé à veiller dessus !… Il était décidé à habiter dessus !… À dormir avec !… Est-ce que Liliane, qui avait eu une si étrange et si inquiétante envie de cette petite maison de la rue des Saules, est-ce que Liliane (qu’il ne pouvait