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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/305

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soupçonner une seconde de faire cause commune avec son ennemi depuis qu’elle lui avait donné de si indéniables preuves de son attachement) n’avait point cette idée merveilleuse — elle lui en avait parlé cette nuit encore — d’en faire leur nid d’amour ?… Et tout de suite ?…

Dès le soir même, il allait prendre un long congé qu’il avait bien mérité, certes !… Il allait oublier pendant quelques semaines les affaires sérieuses… Il allait s’enfermer avec Liliane dans la petite maison de la rue des Saules !… Et qui oserait alors venir le troubler ?… La morte ?… Quel enfantillage !… Il saurait faire discrètement, lui qui disposait de toute la force publique, veiller sur les vivants qui auraient le mauvais goût de s’égarer du côté de la rue des Saules, et, ceci fait, il répondait du sommeil des morts !…

Et que pouvait la mort devant la vie, la vie de Liliane amoureuse ? Il la voyait encore !… Ah ! comme il la voyait ! Telle qu’elle lui était apparue si inopinément dans son appartement des quais… Oui, chez lui ! Chez lui-même !… Elle avait eu cette audace !… Elle lui avait fait cette surprise ! Il venait de rentrer chez lui après cette abominable soirée… Et, dans son bureau, il réfléchissait aux événements, à la conduite à tenir, quand on avait sonné à sa porte. Sa domestique était couchée. Il était allé ouvrir lui-même. D’abord, il ne distingua pas, et puis il ne put en croire ses oreilles, quand elle avait dit : « C’est moi ! »

Stupéfait, il ne trouva pas une parole. Elle s’avança. Il referma la porte derrière elle. Jamais elle n’était venue chez lui… Il le lui avait du reste défendu… Quand il revint vers elle… elle était déjà dans le bureau… Elle laissait tomber son manteau… Elle lui apparut telle qu’il l’avait tant désirée, dans sa loge, le soir même. Elle n’avait jamais été si belle…

À partir de ce moment, il ne se rappelait plus rien de ce qui avait pu être dit entre lui et elle ! Il ne se souvenait plus que du geste qui lui avait livré cette femme, que de ces bras blancs qui s’étaient refermés si amoureusement sur sa tête. Dans sa chambre à lui, ils s’étaient aimés jusqu’au jour…

Ah ! Comment douterait-il maintenant de la passion de cette femme dont, par instant, il s’était cru détesté ? Comment oserait-il encore se plaindre de ce qu’elle l’eût tant fait attendre après tout ce qu’elle venait de lui accorder ? Quelle nuit !

À ce moment, Sinnamari releva la tête d’un geste orgueilleux. C’est dans ce moment — il était deux heures cinq — que la porte de son cabinet s’ouvrit et que son huissier lui annonça :

M. Robert Carel !

Rappelé à la terrible réalité de la minute présente, il s’assit à son bureau et sa main alla tâter dans le tiroir le revolver qu’il y avait déposé.