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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/336

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le compte arrêté hier soir, et dans lequel n’entrent pas les frais d’exécution de Sinnamari que l’on va m’apporter tout à l’heure. »

M. Macallan poussa un soupir, regarda la porte de la petite maison de la rue des Saules et reprit le cours de sa correspondance, que nous continuons à traduire…

« J’ai dit adieu à Robert Carel. Ce garçon-là me dégoûte et je suis fort heureux de rompre d’une façon définitive avec lui !… Ah ! by jove ! Si j’avais su, je me serais peut-être mieux arrangé avec son frère le Vautour, qui aurait pu être un roi des Catacombes étonnant ; Robert, au fond, n’était qu’une mazette sentimentale… Enfin, tout de même, j’ai su en tirer quelque chose, et mon roman-feuilleton finit mieux que j’aurais pu l’espérer !…

» J’ai pu croire à un moment donné que tout allait rater par la faute de ce petit imbécile, qui était tombé amoureux !… J’avais tout prévu dans cette histoire, et selon les règles des meilleurs auteurs, de ceux qui ne quittent jamais mon chevet, sauf que R. C. deviendrait amoureux ! Le mal d’amour ! C’est mal terrible pour un bandit, qui ne doit pas avoir de cœur, qui n’a pas le droit d’avoir de cœur !…

» Malgré cela, je me suis bien amusé et je ne regrette pas la fantaisie que j’ai eue de faire vivre DANS LA VIE des héros de roman ! Ça m’a coûté plus cher qu’un yacht, mais je connais peu de milliardaires américains qui puissent se vanter d’avoir eu de pareilles sensations…

» Vous savez combien je m’ennuyais, mon ami, quand j’ai rencontré à Chicago cette pauvre Française qui faisait métier de sage-femme et qui m’a raconté cette histoire qui lui était arrivée à Paris, dans laquelle il y avait une pauvre femme enfermée, un père exécuté innocent, des enfants abandonnés, des magistrats criminels, etc., etc., et le cri de perroquet qu’elle avait entendu : « Tu es la Marguerite des Marguerites ; tu es la perle des Valois ! »

» Justement, je venais de terminer la série des romans de M. Capendu, qui commence par cet extraordinaire Hôtel de Niorres et qui se continue avec le Roi des Gabiers, le Roi du Bagne et quelques autres rois. J’avais relu trois fois le Comte de Monte-Cristo et je commençais à connaître par cœur les œuvres de M. Fortuné du Boisgobey. Vous savez, cher ami, que je ne peux pas lire les auteurs de ce temps-ci, à quelque nation qu’ils appartiennent, tant je les trouve inférieurs et d’une si mince et si pauvre imagination !

» Hélas, je raffolais du bon roman-feuilleton français, le seul qui compte à mes yeux dans la littérature, le seul qui ait le sens commun et qui se déroule d’après des règles et des lois admirables et pleines d’ingéniosité. Or, il n’y avait plus de roman-feuilleton ! Le récit de l’aventure réelle de cette pauvre femme me donna l’idée d’en faire un à mon tour… Seulement, moi, je ne sais pas écrire ! Alors, je résolus de le vivre !…