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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/37

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descendre jusqu’en 1885 pour les trouver insuffisantes, car il y eut alors jusqu’à cinq condamnés à mort à la fois, dont deux durent être logés en dehors du quartier.

Il est bon de savoir, pour l’histoire qui nous occupe, que, pendant tout le temps qu’il passait à la Roquette, le condamné à mort avait six gardiens attachés spécialement à sa personne. Ceux-ci en avaient la responsabilité et ne le quittaient qu’entre les mains du bourreau.

Ces gardiens avaient tous les jours deux fois quatre heures de présence auprès du condamné, alternant avec huit heures de repos.

En cellule, le condamné avait toujours deux gardiens auprès de lui, que l’on enfermait avec lui. Hors de la cellule, il était toujours escorté de quatre gardiens. Il sortait de sa cellule pour aller à sa promenade quotidienne, pour assister à la messe.

Ces quatre gardiens se disposaient ainsi : un de chaque côté, un par-devant, un par-derrière. Au mois de décembre 186…, il n’y avait qu’un condamné à mort à la Grande-Roquette, Desjardies. Il occupait la cellule du milieu.

La veille du jour où se déroulèrent les événements que nous avons commencé de narrer dans les précédents chapitres, vers quatre heures du soir, la porte de la cellule de Desjardies s’ouvrit et le gardien-chef, secoueur de clefs, un petit être sec et désagréable, toujours sur le qui-vive, ne songeant qu’à l’exécution parfaite de tous ses devoirs de police, redoutant par-dessus tout une chose horrible : une infraction au règlement. Il entra, suivi de deux gardiens.

— Allons, Desjardies ! dit-il. C’est l’heure de la promenade !…

Desjardies, qui était assis sur sa couchette, sembla sortir d’un rêve très lointain, fit un signe de tête au gardien-chef et se leva.

Desjardies portait le costume de la prison et malgré la veste grise trop large et le pantalon trop court, manifestait dans ses moindres mouvements une aisance élégante qui révélait tout de suite un homme qui avait dû appartenir à ce qu’on est convenu d’appeler la bonne société. Desjardies pouvait avoir cinquante-cinq ans. Comme il était très raisonnable, on lui avait épargné la camisole de force.

Était-ce seulement la terreur de la mort prochaine qui avait creusé les rides de son visage, cerné ses yeux, pâli ses traits ? Était-ce encore le remords de l’acte assassin ?

Était-ce réellement, comme il eût fallu le croire — si on l’avait cru innocent — le sentiment d’horreur et de désespoir qui le déchirait devant l’impossibilité de prouver cette innocence, car le malheureux n’avait cessé de la proclamer ?

Est-ce bien sur lui-même que cet homme pleure ?

Est-ce sur sa propre destinée qu’il recueille son désespoir ? N’y a-t-il point pour lui quelque chose de plus affreux que son propre supplice ?