qui venait de se former des Chemins de fer ottomans, une entreprise immense à lancer.
Il partait comme sous-secrétaire de l’administrateur, et s’installait avec sa fille à Salonique. Six mois plus tard éclatait le scandale ; toute l’histoire de tripotages, de pots-de-vin, de l’achat des consciences et des votes, un flot de corruption qui montait jusque sur les gradins du corps législatif. Son chef, l’administrateur Pleumartin, très compromis, était rappelé, et Desjardies dut revenir en France avec lui…
Desjardies, dans sa belle honnêteté, n’avait rien soupçonné des affaires louches qui se manigançaient autour de lui et, naïvement, s’était fait quelquefois le commissionnaire d’une œuvre qu’il ne croyait point criminelle, demandant et fixant des rendez-vous dans des termes qui lui étaient imposés d’avance…
Dans l’éclat de l’affaire, cette correspondance, d’un intérêt secondaire, passa d’abord inaperçue… Elle n’apparut à l’horizon judiciaire que dans les circonstances tragiques qui conduisaient cet homme à l’échafaud.
Un matin, au Palais de Justice, dans le cabinet du substitut du procureur de la République, où il venait parce qu’on l’avait chargé charitablement de quelques traductions, on avait trouvé Desjardies un couteau, son couteau à la main, venant de frapper mortellement l’employé du parquet, Lamblin, qui avait la garde des dossiers des Chemins de fer ottomans.
Le cadavre de Lamblin était étendu devant le coffre rempli des précieux papiers accusateurs… Une liasse de ces papiers, qui n’avait pas encore été compulsée, semblait s’offrir à la main criminelle de Desjardies… et cette liasse l’accusait de complicité de chantage et de corruption de fonctionnaires !…
L’affaire était si formidablement simple et si directe qu’elle n’entraîna point un immense intérêt. Lamblin, un garçon fort aimé, fort estimé, fut plaint, et Desjardies condamné à mort… Il était innocent.
Quand on songe à la prodigieuse force intelligente de ces choses vagues qui vous entourent sans que vous les soupçonniez, qui vous menacent, qui vous guettent, qui accumulent au-dessus de votre tête le poids formidable des événements sans importance, de ces choses inadmissibles et mystérieuses que les anciens appelaient d’un seul nom : le destin, et auxquelles nous avons donné un autre nom : le hasard, on peut se demander si celui-là n’est point fou qui ose marcher parmi les hommes, le front haut, parce qu’il n’a rien à se reprocher !
Il ne sait point, le malheureux, qu’il a à se reprocher simplement d’avoir, un soir, simplement oublié son couteau sur une table ! Et puis, comme le destin-hasard passe son temps à s’amuser des hommes, donnant à ceux-ci la chance et à ceux-là la déveine, il s’arrangera fort habilement pour placer l’honnête homme « guignard » entre son