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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/43

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couteau qu’il a oublié sur une table, un soir, un cadavre tout chaud et un coffre-fort entrouvert dans lequel il y a, justement, la raison d’être du crime qu’il n’a pas commis ! Et l’honnête homme sera condamné à mort !

VIII

LE ROI

Dans le salon dont les fenêtres donnaient sur la place de la Roquette, l’arrivée tant attendue du singulier amphitryon que les uns ne connaissaient que sous les initiales R. C., et que les autres appelaient déjà : le roi des Catacombes, semblait avoir changé en autant de statues tous les personnages présents. Puis, sur un geste de lui, empreint d’une grâce parfaite, sur un mot qui était à la fois une prière et un ordre, les statues étaient revenues à la vie, avaient fait les mouvements nécessaires pour s’asseoir à la place qui leur était indiquée…

Les mains pleines de fleurs qu’il venait de leur offrir et qu’elles avaient reçues sans un mot, sans un geste de remerciement, tant leur émotion avait été forte, les deux femmes s’étaient assises à côté du roi. Il leur parlait, elles l’entendaient, mais ne lui répondaient pas. Il dut en souriant les débarrasser de leur fardeau embaumé. Elles le regardaient.

Enfin, elles le voyaient, le roi Mystère ! Le roi des Catacombes ! C’était ce beau jeune homme si pâle, qui pouvait avoir au plus vingt-huit ans, aux grands yeux noirs à la fois si doux, si profonds, si attirants, si redoutables ! L’ovale de sa figure était parfait. Le front était harmonieux sous la volute légère de sa chevelure châtaine ; une mince moustache blonde ombrageait sa lèvre un peu relevée, dédaigneuse.

Ce qu’un tel visage pouvait offrir de trop charmant, de trop féminin, était immédiatement corrigé par le relief un peu accentué des pommettes, signe de ruse, et par le développement des muscles maxillaires, signe de force.

Il portait l’habit à la française avec l’élégance de jadis. Il avait la culotte de soie, les bas de soie. Un gilet de soie noire s’ouvrait sur une chemise à jabot d’une grande finesse qu’attachait une perle unique du plus grand prix. Il avait des manchettes de dentelle d’où sortaient des mains longues et fines, des mains de femme. Une cravate, une sorte d’écharpe de mousseline faisait plusieurs fois le tour de son cou et achevait de lui donner cet aspect délicieux qu’avaient les élégants d’autrefois… il y a deux cents ans… et cependant, dans ce costume d’un autre âge, il apparaissait jeune… jeune… C’était la jeunesse même, rayonnante de grâce, de force et d’espérance !