Aller au contenu

Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même ne paraissait point se défendre contre un certain sentiment de pitié.

— Monsieur le procureur, fit Mlle Desjardies d’une voix mourante, M. le procureur, mon père est innocent… je vais vous dire… il faut qu’on attende… oui, il faut cela… cela n’est pas possible que l’on ne me donne pas le temps de vous prouver que mon père est innocent !… Si vous m’aviez entendue plus tôt, vous sauriez cela et vous penseriez comme moi… mais vous ne m’avez pas entendue… vous qui pouvez tout, qui êtes le maître… alors, n’est-ce pas ?… on peut encore espérer… oui… on peut encore espérer… j’espère…

Et, disant qu’elle espérait, la jeune fille éclata en un si lugubre sanglot que tous en furent déchirés. Elle continuait, essayant de dominer par instants l’épouvantable angoisse qui l’étouffait… elle continuait… essayant de dire autre chose que des cris, que des lamentations inutiles…

Elle essayait d’exprimer… elle essayait de montrer qu’on avait tort… elle essayait de discuter comme un avocat et cela était, plus que tout, affreusement pitoyable… Par moments, elle s’arrêtait et un silence terrible entourait ces voiles noirs sous lesquels palpitait une douleur surhumaine…

Mais quelles paroles nouvelles vient-elle de prononcer ? Pourquoi ces hommes se rapprochent-ils, plus serrés maintenant, autour de ce désespoir qui se traîne sur le parquet ? Pourquoi ces têtes pâles, ces yeux qui s’interrogent à la dérobée ?

Quel intérêt nouveau soulève donc ainsi la conscience de Sinnamari, de Régine, d’Eustache Grimm et de Philibert Wat lui-même, pendant que Mystère, les bras croisés sur la poitrine, considère d’un œil calme de juge cette transformation subite des physionomies et des caractères et que, derrière lui, s’accrochant aux basques de son habit comme un enfant peureux, le gnome singulier et énigmatique, cessant tout à coup ses surprenantes grimaces, fait entendre des gloussements attendris ?

La voix, sous les voiles noirs, dit :

— Comment ?… Comment ai-je su cela ?… Oh ! par le plus grand hasard… Moi, j’ignorais ce suicide de l’employé de l’Assistance publique. Les journaux en avaient parlé… et puis je ne pouvais pas m’imaginer que cette histoire-là pût être pour quelque chose dans nos malheurs… Un employé de l’Assistance publique se suicide, un employé du parquet est assassiné… ça n’a aucun rapport… du moins on croit que ça n’a aucun rapport… Mais, écoutez-moi… je voudrais, monsieur le procureur, vous raconter tout, tout ce qui m’est arrivé depuis le commencement que j’ai découvert cela… Cela ne sera pas long… Et puis, il faut m’écouter pour sauver mon père, que vous connaissez… Vous savez bien que mon père ne peut pas être un assassin… Et puis, j’ai le temps !… N’est-ce pas… j’ai le temps ?