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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/77

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Quand la malheureuse eut prononcé ces mots : « J’ai le temps ! » un frisson passa dans le cœur de tous, même des plus endurcis, même de ceux qui semblaient maintenant, en écoutant la jeune fille, obéir à une étrange préoccupation…

— J’ai le temps !

La malheureuse ne savait donc point que son père allait être guillotiné… De quel trou obscur et profond, de quel tombeau sortait-elle donc, pour ignorer cela, à dix pas de la guillotine ?… Elle n’avait qu’à tourner la tête ; elle eût, à travers la fenêtre, sous les premiers rayons du jour levant, aperçu l’échafaud…

— J’ai le temps… Monsieur, qui est un ami, me l’a dit ! fit-elle en se retournant vers Mystère. L’exécution n’est pas pour aujourd’hui… Alors, maintenant que je vous ai vu… n’est-ce pas ?… C’est fini !… Il n’y aura plus d’exécution… naturellement !… Mon Dieu ! Qu’est-ce que je vous disais ?… Ah ! oui ! c’était à propos de cet employé de l’Assistance publique…

Mais, encore une fois, avant que Mlle Desjardies ne continuât son récit, ou plutôt sa plainte, on regarda R. C. Décidément, quel était cet homme qui avait éveillé un si formidable espoir dans le cœur de cette enfant ? Qui avait cette audace tranquille d’assumer la responsabilité d’un pareil mensonge ?

R. C. ne semblait point savoir que tous le regardaient… Immobile et les paupières closes, il écoutait la voix parfois enfantine et parfois déchirante de Mlle Desjardies.

— Voilà, continua-t-elle. Dans la maison que j’habite, tout en haut, dans une mansarde, il y a une pauvre femme ! Oh ! il faut aller la voir… Il faut l’interroger… et vite, car elle est bien malade !… Elle s’appelle Mme Didier… Elle m’a raconté que son mari, qui était l’employé de l’Assistance publique dont je vous parle, ne s’est point suicidé comme tout le monde l’a cru ou comme, en haut lieu, on a fait semblant de le croire… Elle affirme qu’on lui a suicidé son mari, comme cela arrive, paraît-il, dans les affaires politiques… Oui, elle m’expliqua cela… On trouve un jour un monsieur pendu à sa fenêtre comme ce Didier ? Eh bien ! Il ne s’est pas pendu !… Il a été étranglé !… C’est un agent encombrant que l’on a fait disparaître… voilà tout… C’est de la politique… Et elle m’a dit que son mari faisait en dessous de la politique et qu’il connaissait beaucoup de choses, et que, la veille de sa mort, cet homme était plein d’espoir et qu’il lui avait dit qu’avant peu ils seraient riches tous deux et pourraient se retirer des affaires… Je n’aurais peut-être pas attaché une grande importance à ce que me racontait cette femme si la date du suicide de son mari ne m’avait tout naturellement frappée ; cela se passait le 3 juin… et c’est le 3 juin que Lamblin était assassiné et que mon père était arrêté…

Ici, la narration plaintive de Mlle Desjardies s’arrêta un instant, et