Page:Leroux - Le fantôme de l'Opéra, édition 1926.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE FANTÔME DE L’OPÉRA

— Ah ! vous aussi, vous connaissez cette demeure ?

— …S’il n’est pas dans cette demeure, il peut être dans ce mur, dans ce plancher, dans ce plafond ! Que sais-je ?… L’œil dans cette serrure !… L’oreille dans cette poutre !…

Et le Persan, en le priant d’assourdir le bruit de ses pas, entraîna Raoul dans des couloirs que le jeune homme n’avait jamais vus, même au temps où Christine le promenait dans ce labyrinthe.

— Pourvu, fit le Persan, pourvu que Darius soit arrivé !

— Qui est-ce, Darius ? interrogea encore le jeune homme en courant.

— Darius ! c’est mon domestique… »

Ils étaient en ce moment au centre d’une véritable place déserte, pièce immense qu’éclairait mal un lumignon. Le Persan arrêta Raoul et, tout bas, si bas que Raoul avait peine à l’entendre, il lui demanda :

« Qu’est-ce que vous avez dit au commissaire ?

— Je lui ai dit que le voleur de Christine Daaé était l’ange de la musique, dit le Fantôme de l’Opéra, et que son véritable nom était…

— Pshutt !… Et le commissaire vous a cru ?

— Non.

— Il n’a point attaché à ce que vous disiez quelque importance ?

— Aucune !

— Il vous a pris un peu pour un fou ?

— Oui.

— Tant mieux ! soupira le Persan. »

Et la course recommença.

Après avoir monté et descendu plusieurs escaliers inconnus de Raoul, les deux hommes se trouvèrent en face d’une porte que le Persan ouvrit avec un petit passe-partout qu’il tira d’une poche de son gilet. Le Persan, comme Raoul, était naturellement en habit. Seulement, si Raoul avait un chapeau haut de forme, le Persan avait un bonnet d’astrakan, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer. C’était un accroc au code d’élégance qui régissait les coulisses où le chapeau haut de forme est exigé, mais il est entendu qu’en France on permet aux étrangers : la casquette de voyage aux Anglais, le bonnet d’astrakan aux Persans.

« Monsieur, dit le Persan, votre chapeau haut de forme va vous gêner pour l’expédition que nous projetons… Vous feriez bien de le laisser dans la loge…

— Quelle loge ? demanda Raoul.

— Mais celle de Christine Daaé ! »

Et le Persan, ayant fait passer Raoul par la porte qu’il venait d’ouvrir, lui montra, en face, la loge de l’actrice.

Raoul ignorait qu’on pût venir chez Christine par un autre chemin que celui qu’il suivait ordinairement. Il se trouvait alors à l’extrémité du couloir qu’il avait l’habitude de parcourir en entier avant de frapper à la porte de la loge.

« Oh ! monsieur, vous connaissez bien l’Opéra !

— Moins bien que lui ! fit modestement le Persan.

Et il poussa le jeune homme dans la loge de Christine.

Elle était telle que Raoul l’avait laissée quelques instants auparavant.

Le Persan, après avoir refermé la porte, se dirigea vers le panneau très mince qui séparait la loge d’un vaste cabinet de débarras qui y faisait suite. Il écouta, puis, fortement, toussa.

Aussitôt on entendit remuer dans le cabinet de débarras et, quelques secondes plus tard, on frappait à la porte de la loge.

« Entre ! » dit le Persan.

Un homme entra, coiffé lui aussi d’un bonnet d’astrakan et vêtu d’une longue houppelande.

Il salua et tira de sous son manteau une boîte richement ciselée. Il la déposa sur la table de toilette, resalua et se dirigea vers la porte.

« Personne ne t’a vu entrer, Darius ?

— Non, maître.

— Que personne ne te voie sortir. »

Le domestique risqua un coup d’œil dans le corridor, et, prestement, disparut.

« Monsieur, dit Raoul, je pense à une chose, c’est qu’on peut très bien nous surprendre ici, et cela évidemment nous gênerait. Le commissaire ne saurait tarder à venir perquisitionner dans cette loge.

— Bah ! ce n’est pas le commissaire qu’il faut craindre. »

Le Persan avait ouvert la boîte. Il s’y trouvait une paire de longs pistolets, d’un dessin et d’un ornement magnifiques.