Page:Leroux - Le fils de trois pères, Baudinière, 1926.djvu/64

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— Vous parlez sérieusement ?

— Très sérieusement.

— Eh bien ! prince, très sérieusement, vous avez eu raison de ne point vous imaginer cela, car je ne vous aurais pas donné ma fille !…

Le prince, tout à fait surpris, en laissa tomber son monocle.

— Et pourquoi ne m’auriez-vous pas donné votre fille ?

— Parce que vous ne l’aimez pas !

— Et qui vous dit que je ne l’aime pas !

— Quelque chose qui me dit que vous en aimez une autre !

— Cessons cette énigme, monsieur Supia ! Je voudrai bien savoir qui j’aime ?…

— Vous aimez ma filleule, Mlle Antoinette Agagnosc !

— Moi, je ne l’ai jamais regardée !

— Mon cher prince, il y a des façons de ne pas regarder les dames ou les demoiselles qui ne sauraient tromper un homme d’expérience comme moi. Ça n’est point que je sois grand clerc dans les choses de l’amour, mais j’ai appris à pénétrer les désirs les plus secrets, les pensées les plus obscures, ou, si vous aimez mieux, les plus habilement dissimulées…

— Et où donc avez-vous appris tout cela, monsieur Supia ?

— Dans mes magasins, prince ! tout simplement !… Je vous jure qu’avec moi les kleptomanes n’ont point beau jeu et il suffit qu’une de mes clientes considère avec le plus grand intérêt, par exemple le comptoir de la passementerie, pour être assuré qu’elle convoite la paire de bas de soie à 79 fr. 95 qui se trouve immédiatement derrière elle ; ainsi,