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MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE

elle si absurde, celle-là, que je préfère presque les ténèbres de l’inexplicable. »

Sur quoi, le jeune reporter m’invita à sortir ; il me fit faire le tour du château. Sous nos pieds craquaient les feuilles mortes ; c’est le seul bruit que j’entendais. On eût dit que le château était abandonné. Ces vieilles pierres, cette eau stagnante dans les fossés qui entouraient le donjon, cette terre désolée recouverte de la dépouille du dernier été, le squelette noir des arbres, tout concourait à donner à ce triste endroit, hanté par un mystère farouche, l’aspect le plus funèbre. Comme nous contournions le donjon, nous rencontrâmes « l’homme vert », le garde, qui ne nous salua point et qui passa près de nous, comme si nous n’existions pas. Il était tel que je l’avais vu pour la première fois, à travers les vitres de l’auberge du père Mathieu ; il avait toujours son fusil en bandoulière, sa pipe à la bouche et son binocle sur le nez.

« Drôle d’oiseau ! me dit tout bas Rouletabille.

– Lui avez-vous parlé ? fis-je.

– Oui, mais il n’y a rien à en tirer… il répond par grognements, hausse les épaules et s’en va. Il habite à l’ordinaire au premier étage du donjon, une vaste pièce qui servait autrefois d’oratoire. Il vit là en ours, ne sort qu’avec son fusil. Il n’est aimable qu’avec les filles. Sous prétexte de courir après les braconniers, il se relève souvent la nuit ; mais je le soupçonne d’avoir des rendez-vous galants. La femme de chambre de Mlle  Stangerson,