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MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE

dier, appelé par la dépêche de mon ami et apportant les revolvers.

Je suis dans la chambre de Rouletabille ; il vient de terminer son récit.

Pendant qu’il parlait, il n’avait point cessé de caresser la convexité des verres du binocle qu’il avait trouvé sur le guéridon et je comprenais, à la joie qu’il prenait à manipuler ces verres de presbyte, que ceux-ci devaient constituer une de ces « marques sensibles destinées à entrer dans le cercle tracé par le bon bout de sa raison ». Cette façon bizarre, unique, qu’il avait de s’exprimer en usant de termes merveilleusement adéquats à sa pensée ne me surprenait plus ; mais souvent il fallait connaître sa pensée pour comprendre les termes et ce n’était point toujours facile que de pénétrer la pensée de Joseph Rouletabille. La pensée de cet enfant était une des choses les plus curieuses que j’avais jamais eues à observer. Rouletabille se promenait dans la vie avec cette pensée sans se douter de l’étonnement – disons le mot – de l’ahurissement qu’il rencontrait sur son chemin. Les gens tournaient la tête vers cette pensée, la regardaient passer, s’éloigner, comme on s’arrête pour considérer plus longtemps une silhouette originale que l’on a croisée sur sa route. Et comme on se dit : « D’où vient-il, celui-là ! Où va-t-il ? » on se disait : « D’où vient la pensée de Joseph Rouletabille et où va-t-elle ? » J’ai avoué qu’il ne se doutait point de la couleur originale de sa pen-