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Page:Leroux - Revue sociale - volume 3 1845-46.djvu/592

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plus profitable à la société, et pour empêcher le mauvais usage qu’ils en pourraient faire. Leur liberté ne doit pas être entravée, mais seulement éclairée, excepté toutefois dans ce qui serait préjudiciable à la société ou à eux-mêmes.

Il faudrait aussi qu’une surveillance fût exercée sur l’intérieur des familles, ou plutôt qu’il fût établi une solidarité des familles entre elles, pour empêcher les abus d’autorité dont les enfants pourraient être victimes ; comme, par exemple, lorsque des parents éprouvent une antipathie qui les porte à maltraiter gravement quelqu’un des leurs, à les rendre malheureux, ou à prendre une influence fâcheuse sur leur caractère, pour remédier à la négligence de quelques autres et à leur incapacité pour élever leurs enfants ;

Mais surtout pour veiller à ce que ni les parents, ni ceux qui sont chargés des enfants ne leur donnent de mauvais exemples, de mauvais principes, et n’abusent de leur influence pour les corrompre et les livrer au vice.

On doit veiller aussi à ce que les plaisirs qui sont offerts à l’enfance ne soient pas en contradiction avec les principes de morale qu’on leur donne, et ne pas s’en rapporter aux directeurs de théâtre pour la moralité des amusements qu’on leur procure.

Dans l’ordre social actuel, il n’y a pas de surveillance pour les enfants des pauvres ; dès qu’à charge à leur famille, ils peuvent subvenir à leurs besoins, ils sont livrés à eux-mêmes dans les différents travaux où leurs parents trouvent à les employer. Les personnes qui les font travailler ne pensent guère qu’à ce qui concerne leur intérêt, et se donnent rarement la peine de veiller à leur conduite ; souvent elles sont les premières à les porter au mal, en abusant de leur dépendance, de leur misère, de leur ignorance.

Pour les autres enfants, il n’y a que les jeunes personnes qui soient surveillées jusqu’à leur mariage ; encore souvent sont-elles unies trop jeunes à des maris qui les laissent livrées à elles-mêmes à un âge où elles auraient besoin de conseils et d’appui.

Les jeunes gens, eux, sont libres beaucoup trop tôt ; aussi à peine s’ils attendent l’âge des passions pour s’y livrer avec une fougue qui attaque souvent leur santé et même leur vie.

T.
LITTÉRATURE.

LE MYOSOTIS.

I.

Large et paisible, la Vienne coule avec lenteur et s’enfonce dans les profondeurs touffues de l’horizon.

Ses eaux sans cesse passent et sans cesse arrivent. « Nous venons de l’infini, dit leur murmure, et nous allons à l’éternité. »

Le vent tantôt les plisse uniformément, tantôt les fait frémir en longues bandes de petites ondes tumultueuses dont l’agitation ressemble à celle d’une foule d’hommes ou d’une ruche d’abeilles.

La lumière les revêt de cent couleurs. Là c’est le vert ; puis l’argenté ; puis des paillettes étincelantes. Par endroits, c’est le bleu même du ciel qui s’y réfléchit ; plus loin, à l’autre bord, le long de ce buisson d’aulnes, c’est une longue bordure d’un roux sombre ; ici, telle que l’or en fusion, la lumière elle-même se baigne et se joue dans les eaux.

Sur les côteaux, le blé jaunit et sous le vent semble un autre fleuve. Auprès, la vigne pleine de promesses. En bas, les prairies semblables à de jeunes filles qui, la tête couronnée de fleurs, baignent leurs pieds dans l’eau.

Des noyers, des aulnes au feuillage frémissant, des peupliers qui se balancent comme de grands roseaux, bordent la rive, et forment à l’horizon des masses de verdure. Le lierre, la viorne, la fougère, la ronce et mille petites fleurs vêtissent les rochers.

Une cascade élève sa voix large et monotone et jette des flots d’écume qui, s’éloignant, se divisent en petits flocons neigeux flottants çà et là, suivent le fil de l’onde, et s’évanouissent au moindre toucher.

L’oiseau chante ; et tout, muet ou sonore, chante aussi la beauté, l’abondance. Tout resplendit de joie. Le ciel et la terre se contemplent et se sourient pleins d’amour. Et l’âme énivrée respire dans l’atmosphère du bonheur.

Comme il fait bon vivre ! Que la terre est fertile et belle ! Que Dieu est grand !…

— Mais quels sons discordants s’élèvent de ce toit là-bas ?… J’entends des voix grondeuses ; puis des sanglots, et encore des imprécations. C’est l’homme qui se manifeste à l’homme.

Comme la chute d’une pierre trouble la surface de l’eau et remplace de riantes images par des ombres confuses, ainsi tout le beau paysage s’obscurcit à mes yeux. Je me lève et m’éloigne, la tête baissée et le cœur troublé.

II.

L’homme apparait au milieu de la nature comme une tache au milieu d’un beau vêtement.

Amour, beauté, poésie, images et promesses du bonheur, êtes-vous aussi vaines que le flocon d’écume de la cascade ?

Hélas ! tandis que la nature chante l’harmonie, l’homme n’exhale que gémissements et colères. Il marche le front soucieux sur la terre fleurie et passe en haillons au milieu de ses trésors.

La vie, c’est un chaos de luttes sanglantes que dominent des voix railleuses, menaçantes ou plaintives, et qu’entrecoupe ça et là quelque note fugitive d’espérance et de foi.

L’esprit y flotte entre mille apparences, qui tour à tour le séduisent par quelque lueur. Le cœur souffre et s’abat, ne trouvant que leurre et contradiction.

Oh ! qui portera ma vue au-delà des espaces que j’entrevois confusément ? Qui me dévoilera l’effet des systèmes ? Qui me dira le secret de la vie ?

— Cette petite fleur bleue, épanouie en touffes parmi l’herbe, qui fixe sur moi son regard pur comme celui d’une étoile, c’est le myosotis des prés. Sa douceur et sa beauté m’attirent, et je me penche sur elle en disant : « Toi que Dieu a faite si belle et si pure, sais-tu ce que je cherche, petite fleur ? » —

Elle s’inclina sur mon visage, et j’entendis, en inspiration, ce mot doux comme un souffle de brise : « Aime ! »

Et la petite fleur souriait avec tendresse en regardant le ciel.


LA JEUNE FILLE ET L’OISEAU.

Voici le temps où la rose sauvage et le chèvrefeuille étendent sur les buissons des guirlandes embaumées, où mille frêles merveilles s’épanouissent dans l’herbe, sous les feuillages, au creux des rochers. Voici le temps où dans les blés le bluet brille ; où le serpolet, à la tendre couleur, borde les marges des chemins.

Qu’il est doux de fouler le tapis des prairies, où chaque pas fait éclore un parfum !

Qu’elle est douce l’ombre des arbres, d’où l’on entend, couché sur la mousse, le chant des oiseaux et le cri des cigales !

Quand la nature berce de voix monotones son voluptueux sommeil du jour.

Quel parfum emporte cette brise ?… Mon âme a tressailli comme l’exilé au chant de sa patrie. — Allons dans la campagne ; allons adorer Dieu !

Ainsi dit la jeune fille des villes ; mais on lui répond : « L’usage te ferme la vie. » — Et, pleurante, elle va s’asseoir auprès de la cage de son oiseau favori, que chaque jour elle comble avec tendresse de grain et de biscuit frais.

« Tu pleures, lui dit l’oiseau. Ton sein est gonflé d’indignation parce qu’on te refuse, à toi, fille de l’infini, l’air et l’espace. — Et cependant, moi, dont l’aile parcourt en une heure plus d’étendue que tes pas en huit jours, tu me retiens dans cette cage étroite, loin des fleurs et du soleil.

— Ainsi, absorbés en nous-mêmes, nous ne trouvons point en nos maux le sentiment des maux d’autrui. Réciproquement, et à l’envi,