dans ceux qui étaient fréquentés par une clientèle soi-disant élégante de « rastas » que la guerre n’avait pas chassés de Paris ou tout au moins qui y étaient revenus « depuis la Marne ».
Si le poilu en question se faisait servir un « glass » dans chacun de ces établissements, il devait avoir une santé peu ordinaire pour continuer son chemin avec une démarche aussi assurée que celle qui l’amena finalement dans une petite boîte de la rue Caumartin, devant un comptoir où il s’accouda avec mélancolie.
Pour la dixième fois depuis deux heures, il demanda « un quart Vittel », car Rouletabille (c’était lui) était d’un naturel sobre, surtout quand il « travaillait ». Et nous le surprenons ici en plein travail.
Il s’adressa à une aimable dame un peu « empâtée », qui avait dû être jolie quelque vingt ans auparavant et qui surveillait méticuleusement la distribution des cocktails et autres « drinks » à une clientèle mixte dont le sexe faible n’était point, tout bien considéré, le plus bel ornement.
Ces dames, comme la « patronne », étaient généralement « d’âge », tandis que les jeunes gens étaient jeunes. Rouletabille s’imaginait bien en reconnaître quelques-uns pour les avoir vus, quelques mois avant la guerre, glisser sur les parquets des « thés-tangos » avec une grâce qui devait leur rapporter dans les vingt francs à la fin de la journée.
« Pardon, madame, pourriez-vous me dire si Vladimir Féodorovitch doit venir ici ce soir ?
— Le professeur Vladimir ? répliqua la dame empâtée en tapotant les frisettes de sa perruque rousse… mais il y a des chances, monsieur le poilu !… Tenez ! hier encore à cette heure-ci, il dînait à cette table.
— Pensez-vous qu’il va revenir dîner ce soir ?
— Oh ! c’est fort probable ? à moins qu’il n’ait été invité à dîner en ville par sa princesse !…
— Ah ! oui ! la princesse Botosani !…