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L’ILLUSTRATION

rectement de l’Athos et dont on ne trouverait point les pareilles, je vous assure, au Gastini-Dvor, ni même au Stchoukine-Dvor !

— Oui, oui, c’est bien possible, fit Rouletabille, impatient… Vous êtes amateur ? ajouta-t-il, pour dire quelque chose.

— Mon Dieu ! comme tout le monde…Non, je vais vous dire, monsieur Rouletabille… j’ai donné ma démission d’officier… je suis résolu à me retirer du monde… je vais faire un long voyage… (Rouletabille pensait : pourquoi ne part-il pas tout de suite ?)… et, avant de partir, je suis venu ici, me munir de quelques petits cadeaux à laisser à ceux de mes amis au bon souvenir desquels je tiens plus particulièrement… bien que, maintenant, mon cher monsieur Rouletabille, je ne tienne plus à grand’chose…

— Oui, vous avez l’air tout à fait désolé…

Boris poussa un soupir d’enfant…

— Comment ne le serais-je point ? fit-il. J’aimais et je croyais être aimé… Mais il n’en était rien, hélas !…

— On s’imagine quelquefois des choses… dit Rouletabille, dont la main tourmentait toujours la poignée de la porte.

— Oui, oui, fit l’autre, de plus en plus mélancolique, l’homme souffre ; lui-même est son tourmenteur ; lui-même est l’ouvrier de la roue sur laquelle, lui-même bourreau, il s’attache !…

— Il ne faut pas ! Monsieur ! il ne faut pas !… conseilla le reporter…

— Écoutez !… implora Boris dont la voix se mouillait de larmes… vous êtes encore un enfant, mais enfin vous savez voir les choses… Croyez-vous que Natacha m’aime ?…

— J’en suis sûr, monsieur Boris, j’en suis sûr !…

— Moi aussi, j’en suis sûr… mais, maintenant, je ne sais plus que penser… Elle m’a laissé partir… sans essayer de me retenir… sans une parole d’espoir…

— Et où allez-vous comme cela ?…

— Je retourne en Orel où je l’ai vue pour la première fois…

— C’est bien… c’est bien cela, monsieur Boris… au moins, là, vous êtes sûr de la revoir… elle y retourne tous les ans quelques semaines avec ses parents… C’est un détail que vous ne devez pas ignorer…

— Non, certainement… je vous dirai même que c’est cette perspective qui m’a fait choisir le lieu de ma retraite.

— Voyez-vous cela !…

— Dieu ne donne rien, mais il ouvre ses trésors et chacun en prend ce qu’il peut…

— Oui, oui… et Mlle Natacha sait-elle que c’est en Orel que vous avez résolu de vous retirer ?

— Je n’avais point de raison pour le lui cacher ! monsieur Rouletabille…

— Eh bien, c’est parfait ! Il ne faut pas se désoler comme cela, mon cher monsieur Boris ! tout n’est pas perdu !… je dirais même que je vous vois un avenir plein d’espoir…

— Ah ! si vous pouviez dire vrai ! Je suis heureux de vous avoir rencontré… je n’oublierai pas ce câble que vous m’avez tendu quand les vagues fondaient sur ma tête… merci, monsieur !…

— Adieu, monsieur !

— Pardon !… monsieur, pardon ! Encore un mot… Je voulais vous demander… vous qui avez revu les Trébassof… qui avez revu Natacha… cette Natacha, que j’aime, est quelquefois si bizarre… tant de fois elle m’a ainsi repoussé, désespéré, puis rappelé… ne croyez-vous pas que, si je retournais à la datcha encore une fois… Enfin, que me conseillez-vous ?

— Je vous conseille de partir en Orel, monsieur, et le plus vite possible…

— Bien ! Bien ! vous devez avoir des raisons pour me dire cela… je vous obéis, monsieur, je m’en vais !…

Et, comme il se dirigeait vers la voûte de sortie, Rouletabille en profita pour entrer dans le laboratoire du père Alexis. Celui-ci était penché sur ses cornues. Une méchante lampe éclairait à peine, son obscur travail. Il se retourna au bruit que fit le reporter.