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ROULETABILLE CHEZ LE TSAR

debout, les mains derrière le dos, semblait frappé de paralysie au spectacle d’une aquarelle toute flamboyante d’un coucher de soleil qui allumait comme une torche la flèche d’or des Saints-Pierre-et-Paul. Enfin, dans le jardin et devant la loge, trois autres pardessus marron erraient comme des âmes en peine autour des pelouses ou devant la porte d’entrée. Rouletabille retint d’un geste la générale, rentra dans le petit salon et referma la porte.

— Police ? demanda-t-il.

Matrena Pétrovna fit un signe de tête avec un mouvement de l’index qui fermait sa petite bouche naïve, comme on a accoutumé de faire avec le doigt et la bouche pour recommander le silence. Rouletabille sourit.

— Combien sont-ils ?

— Dix, relevés toutes les six heures.

— Cela vous fait quarante inconnus chez vous, par jour.

— Pas inconnus, reprit-elle… police !…

— Et malgré cela, vous avez eu le coup du bouquet dans la chambre du général ?

— Non !… ils n’étaient que trois, alors… c’est depuis le coup du bouquet qu’ils sont dix.

— N’importe… c’est depuis ces dix-là que vous avez eu…

— Quoi ? demanda-t-elle, anxieuse…

— Vous savez bien… le plancher

— Taisez-vous ! ordonna-t-elle encore.

Et elle alla jeter un coup d’œil à la porte, considérant avec attention le policier-statue devant son coucher de soleil… Elle dit :

— Personne ne sait… pas même mon mari…

— C’est ce que m’a dit M. Koupriane… Alors, c’est lui qui vous a octroyé ces dix agents-là…

— Certainement !

— Eh bien, vous allez commencer par me mettre toute cette police à la porte…

Matrena Pétrovna lui prit la main, effarée.

— Vous n’y pensez donc pas ?

— Si ! Il faut savoir d’où vient le coup ! Vous avez ici quatre sortes de gens : la police, les domestiques, les amis, la famille. Éloignons d’abord la police. Qu’elle n’ait pas le droit de franchir votre seuil. Elle n’a pas su vous garantir. Vous n’avez rien à regretter. Et si, elle absente, aucun nouveau fait redoutable ne se produit, nous pourrons laisser à M. Koupriane le soin de continuer l’enquête, sans se déranger, chez lui

— Mais vous ne connaissez pas l’admirable police de Koupriane. Ces braves gens ont fait preuve d’un dévouement…

— Madame, si j’étais en face d’un nihiliste, la première chose que je me demanderais serait celle-ci : est-il de la police ? La première chose que je me demande en face d’un agent de votre police : n’est-il point nihiliste ?…

— Mais ils ne voudront point partir !…

— L’un d’eux parle-t-il français ?

— Oui, leur chef, celui qui est debout, là, dans le salon.

— Appelez-le, je vous prie.

La générale s’avança dans le salon et fit un signe. L’homme parut. Rouletabille lui tendit un papier que l’autre lut.

— Vous allez rassembler vos hommes et quitter la villa, ordonna Rouletabille. Vous vous rendrez à la Police. Vous direz à M. Koupriane que ceci a été commandé par moi et que j’exige que tout le service de police de la villa soit suspendu… jusqu’à nouvel ordre.

L’homme s’inclina, parut ne pas comprendre, regarda la générale et dit au jeune homme :

— À vos ordres !…

Il sortit.