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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/121

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quand sortirait-elle de cet horrible cauchemar ! Et tout à coup, voilà qu’un mot, un nom, prononcé par une bouche cigaine, vint frapper son oreille : « Rouletabille ! »

Elle faillit jeter un cri, tant la surprise avait été forte !

Rouletabille !… Rouletabille !… Ah ! Maintenant, elle ne tremblait plus d’effroi !… mais d’espérance !… Rouletabille !… Le nom venait d’être répété tout près de là par Callista qui tenait un conciliabule assez orageux avec Andréa et Sumbalo… Celui-ci venait de donner des ordres pour que le camp fût levé immédiatement, en même temps qu’il faisait avertir toutes les roulottes du danger que courait l’enfant sacrée…

Or Callista, dans une langue qu’Odette ne comprenait pas, expliquait au contraire au vieux chef de tribu qu’il ne devait pas bouger, que s’ils s’enfuyaient tous ils étaient perdus et qu’on finirait bien par les rattraper… car ils étaient là en tout une centaine, dans cette forêt, qui n’avaient point la prétention de passer inaperçus !… surtout de Rouletabille !…

Callista, mise en éveil par Zina, était allée rôder autour de l’auberge et avait reconnu à la fenêtre de la salle basse leur plus redoutable ennemi !… Ils ne s’en débarrasseraient donc jamais !… Dans quelques heures, au point du jour, peut-être, il serait là, ayant pris toutes ses dispositions pour leur enlever Odette !…

Ils n’avaient qu’une façon de se tirer de ce pas dangereux, c’était de se montrer plus rusés que lui !… Et, pour cela, il n’y avait qu’une chose à faire : le vieux Sumbalo et toute la bande des cigains l’attendraient de pied ferme, tandis qu’elle, Callista, accompagnée d’Andréa, s’éloignerait rapidement avec Odette, jetée au fond d’une autre roulotte qui prendrait de l’avance et ne voyagerait que la nuit…

Il n’y avait pas un moment à perdre !… Le camp était déjà peut-être surveillé !

Le vieux Sumbalo fut enfin convaincu, de nouveaux ordres furent transmis, auxquels les bohémiens n’obéirent, du reste, qu’à leur corps défendant et après mille protestations… Certains faisaient entendre des paroles de rage et de menaces… Enfin un nouvel incident acheva de déchaîner la colère générale…

Olajaï, profitant de l’inattention d’Andréa, s’était enfui… L’amoureux de Callista s’en aperçut au moment où l’ancien domestique de Rouletabille venait de sortir sournoisement du cercle éclairé par les feux…

Il jura, cria : « Olajaï ! »

Et Callista comprit !

Tous deux bondirent, d’autres les suivirent. Il fallait rattraper le faux frère coûte que coûte !

Ah ! Olajaï pressentait que son compte était bon, maintenant que Rouletabille était signalé dans les environs, et il n’avait plus pensé qu’à se soustraire au mauvais destin qui l’attendait… Peut-être même allait-il avertir Rouletabille !

Callista commanda à Andréa :

— Cours ! prends ce sentier qui coupe la route de l’auberge…

Et elle dirigea les poursuites avec une stratégie étonnante, encerclant le malheureux, le forçant à bondir de fourré en four-