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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/139

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dit Jean, et, tout fier d’avoir prévu le coup, il n’eut pas de peine à constater qu’Hubert sortait de chez lui en faisant le moins de bruit possible et descendait l’escalier.

Jean sortit à son tour, ouvrit brusquement la porte de Rouletabille qui était en chemise et lui jeta :

— Hubert détale, je le suis !

Puis, sans attendre un mot de l’autre, il se lança sur les traces de Lauriac qui n’avait pas encore eu le temps de quitter l’hôtel.

Ainsi le suivit-il sans être remarqué, jusqu’au parc des Roses. Ainsi vit-il arriver un quart d’heure plus tard la voiture dans laquelle montait Hubert.

Jean avait entr’aperçu une silhouette féminine et se demandait maintenant s’il n’avait pas perdu son temps, s’il assistait simplement à un rendez-vous d’amour qui ne l’intéressait pas. À la réflexion, il jugea qu’Hubert n’était pas dans un état d’esprit à penser, comme on dit, à la gaudriole… et il hâta le pas derrière la voiture qui s’éloignait assez lentement…

Une autre voiture vide venait vers lui ; il l’arrêta et recommanda au cocher (à qui il promit un fort pourboire) de ne pas perdre de vue le coupé qui le précédait… Ainsi arriva-t-il non loin du music-hall pour y voir pénétrer Hubert et la mystérieuse inconnue.

Celle-ci avait rabaissé sa voilette, mais dès la première vision de cette silhouette, Jean ne s’y trompa pas.

« La Pieuvre, se dit-il… c’est la Pieuvre ! »

Il se jeta à son tour dans la foule, derrière eux… Il les vit monter aux cabinets particuliers et résolut d’attendre… « pour être sûr » !

Il les revit à la sortie. C’était bien elle !…

Il assista à leurs adieux et se remit à suivre Hubert quand la voiture se fut éloignée au grand trot de son cheval.

« Les misérables, se disait Jean, qu’ont-ils manigancé ensemble ? La Pieuvre ici ! et avec Hubert ! Voilà pourquoi Lauriac voulait venir à Innsbruck ! Il avait rendez-vous avec la Pieuvre !… Et Rouletabille qui ne se doute de rien !… »

Hubert marchait lentement en fumant un gros cigare.

« Il ne rentre peut-être pas à l’hôtel, se disait Jean, et l’endroit où il va pourrait peut-être bien nous être un précieux renseignement !… »

Mais, après avoir tourné dans quelques rues obscures, où il paraissait, du reste, s’être égaré, Hubert rentra à l’hôtel… Quand il se fut renfermé dans sa chambre, Jean ne fit qu’un bond jusqu’à celle de Rouletabille.

Il le trouva s’admirant dans le pyjama qu’il venait d’acheter et faisant devant son armoire à glace de la gymnastique respiratoire…

— Ah ! te voilà ! fit le reporter en apercevant Jean… Mon Dieu ! tu as l’air bouleversé !… que se passe-t-il donc ?…

— Tu ne sais pas qui est ici ?

— Ma foi non !…

— La Pieuvre !…

— Hein ?…

— La Pieuvre !… Je te dis que la Pieuvre est ici !…

— Mais ce n’est pas possible !… ou c’est un pur hasard !… Au fond, nous sommes là, à nous émouvoir !… qu’est-ce que tu veux qu’elle nous fasse ?

— Demande-le donc à Hubert, avec qui elle avait rendez-vous cette nuit devant le parc des Roses et qui est resté près de deux heures avec elle !…

— Ça, c’est plus grave !… fit Rouletabille qui avait cessé sa gymnastique, oui, ça, c’est plus grave !… car elle ne connaissait pas Lauriac… et ce n’est évidemment pas pour des balivernes qu’ils se sont donné rendez-vous !…

Soucieux, il se mit à bourrer sa pipe comme il avait accoutumé de faire quand une idée le préoccupait plus particulièrement. Il la bourrait… la bourrait… indéfiniment… jusqu’au moment où il voyait plus clair dans la situation… alors, il l’allumait et il avait,