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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/146

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— Eh bien, monsieur de Santierne, comment me trouvez-vous ?

— Parfaitement déguisé ! Quel est votre dessein ?

Hubert s’assit, alluma une cigarette, se croisa les jambes et dit :

— Je suis le seul de vous qui parle romané, le seul qui puisse approcher Odette ! Ils me croiront de la race !… Ayez confiance !

Jean était devenu très rouge à cet énoncé : « Je suis le seul d’entre vous qui puisse approcher Odette. » Il regarda férocement cet homme qui semblait le narguer et dit :

— Le malheur est que je n’ai aucune confiance en vous, monsieur de Lauriac !

— Vous avez tort ! releva l’autre sans se démonter… Évidemment, je travaille pour moi en voulant sauver Mlle Odette ; mais n’ayez crainte… je ne l’épouserai pas de force !… Et puis vous êtes deux au besoin pour m’en empêcher !… Faites donc… ou plutôt laissez-moi faire comme si vous aviez confiance en moi, monsieur de Santierne !…

— Je n’ai pas confiance en vous, reprit l’autre… et je vais vous dire pourquoi !… puisque aussi bien une explication est devenue nécessaire entre nous !…

— Ah ! vous savez ! moi, je ne suis pas pressé !… Nous aurions aussi bien pu l’avoir après !…

— Monsieur de Lauriac, vous voulez nous trahir !… mais vous n’y réussirez pas ! Je vous ai suivi l’autre nuit à Innsbruck !…

Hubert ne put s’empêcher d’avoir un mouvement… Cependant il se remit bientôt et se prit à sourire.

Jean continua :

— Je vous ai vu avec Mme de Meyrens !…

— Et puis après ? repartit l’autre en se retournant tout à fait du côté de Jean et en lui plantant son regard dans les yeux.

Mme de Meyrens est notre pire ennemie, à Rouletabille et à moi !…

— Ah ! par exemple ! voilà qui est curieux !… Je ne la croyais que l’ennemie de Rouletabille !

— Cela aurait dû vous suffire, monsieur, pour, dans les circonstances que nous traversons, ne pas courir au rendez-vous qu’elle vous fixait !

— Écoutez, monsieur de Santierne, reprit l’autre, de plus en plus calme… Je ne connaissais pas cette dame et je vous jure sur la tête de Mlle de Lavardens, qui m’est au moins aussi chère qu’à vous, que j’ignorais qu’elle fût à Innsbruck. Elle vous avait suivi, vous, depuis que vous aviez quitté la France, persuadée qu’elle retrouverait ainsi Rouletabille, qu’elle déteste en effet, à ce qu’elle m’a dit, et elle m’a demandé un rendez-vous par le truchement d’une lettre qui m’a bien surpris à Innsbruck !…

— Et alors ?… questionna Jean, troublé par l’accent de sincérité de son interlocuteur.

— Et alors, j’ai été naturellement curieux de savoir ce que cette inconnue avait à me dire !

— La conversation n’a pas dû être dénuée d’intérêt !… gouailla l’autre…

— Tout à fait intéressante, appuya Hubert avec un sourire féroce… Madame de Meyrens désirait tout simplement m’apprendre que, dans cette affaire, votre ami Rouletabille ne travaillait ni pour vous, ni, naturellement, pour moi !… Mais uniquement pour lui ! Il aime Odette !…