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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/156

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Dans le premier moment, Odette avait accueilli Hubert comme un libérateur, mais depuis qu’elle se trouvait seule avec lui, au fond de cette vieille tour perdue dans un désert d’où elle ne pouvait espérer aucun secours, elle se demandait anxieusement si elle n’eût point mieux fait de rester la prisonnière de ces bohémiens qui l’entouraient de leurs marques d’adoration et de respect.

Au fond, elle n’avait aucune confiance en Hubert, connaissant sa brutalité célèbre dans les Camargues, et si elle l’avait suivi aussi facilement, c’est qu’il avait profité de l’étourdissement ou plutôt de la dépression morale qu’il avait provoquée en lui apprenant que Jean, resté en France, n’avait rien tenté pour son salut.

Pourquoi l’avait-elle cru ? Il avait peut-être menti ! Il avait sûrement menti ! Elle connaissait bien son Jean. Il était incapable de cette trahison ! Le traître, le méchant, c’était Hubert ! Et elle était seule avec lui !… Elle frissonna…

Elle n’osait plus le regarder. Il s’était un peu éloigné d’elle pour la rassurer et paraissait, maintenant, occupé uniquement « des soins du ménage ».

Tout avait été préparé par lui, dans ce réduit, pour qu’on y pût passer quelques heures de repos et de réconfort. L’endroit était relativement propre, récemment nettoyé des débris de toute sorte qui l’encombraient. De vieilles pierres écroulées avaient été rassemblées pour construire une espèce de foyer dans lequel un feu de bois était préparé pour réchauffer Odette si elle en avait besoin. Un lit de fougères, sur lequel était jetée une couverture, était prêt à la recevoir. Enfin, il avait allumé une petite lampe à alcool sur laquelle il faisait bouillir de l’eau pour faire du thé !

En attendant, il lui demanda si elle ne voulait point prendre un peu d’alcool pour se réconforter et il lui tendit le gobelet de sa gourde, mais elle le repoussa. Alors, d’une anfractuosité de la muraille, il tira quelque chose qu’il y avait mis en réserve et lui dit :

— Une omelette ?… Vous mangerez bien une omelette ?…

C’étaient des œufs de pigeon… Elle sourit… Il ne la regardait plus. Elle reprenait confiance…

— Oui, une omelette !… Vous avez pensé à tout… Je ne sais comment vous remercier !…

— C’est moi qui vous remercie !… fit-il, d’avoir consenti à me suivre… (Il parlait sans lever la tête. Il était à genoux, en train