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IX. — Hubert de Lauriac

Un heureux hasard avait voulu que les magistrats qui se rendaient pour une enquête aux Saintes-Maries, passassent à proximité du Viei Castou Nou, dans le moment que le crime venait d’être découvert. Ils en furent les premiers instruits et rebroussèrent immédiatement chemin.

Quand Rouletabille redescendit dans le parc, il se trouva en face de gens dont la religion était déjà faite. Comme on dit dans le pays : les vêpres étaient chantées. Le jeune Santierne avait renforcé la conviction de chacun en annonçant le rapt d’Odette. Le juge qui avait dirigé la rapide enquête et fait les premières constatations avait en main l’écharpe de Mlle de Lavardens.

— Ainsi donc, disait-il, ni M. de Lauriac (Hubert), ni Mlle Odette n’ont couché cette nuit dans leur chambre… Cette écharpe dans le jardin même de M. de Lauriac atteste que Mlle Odette et lui se sont rencontrés… Tout prouve que M. de Lauriac s’est rendu coupable du rapt de Mlle Odette, comme tout prouve qu’il est l’assassin de M. de Lavardens. Nous n’avons plus qu’à nous mettre en mesure d’arrêter M. de Lauriac : qu’en pensez-vous, M. Rouletabille ? termina le juge, heureux d’émettre une conclusion aussi claire, basée sur des arguments aussi solides, devant le célèbre reporter que tout le monde connaissait à Arles et aux Saintes-Maries.

M. Rouletabille pense, répliqua le reporter, que vous arrêterez peut-être M. Hubert de Lauriac, mais que vous n’arrêterez jamais l’assassin !…

— Comment ! nous n’arrêterons jamais l’assassin ?…

— Non, vous ne l’arrêterez point, parce que vous ne le découvrirez point !

— D’après vous, ce n’est donc pas M. Hubert ?

— Vous dites que tout le prouve !… moi, je dis que rien ne le prouve ! Le morceau de cravate dans les mains crispées de la victime ne prouve pas plus que M. de Lauriac soit l’assassin que cette écharpe trouvée dans son jardin ne prouve qu’il a enlevé Mlle de Lavardens…

— Rouletabille est fou ! s’écria Jean… mais enfin qu’as-tu à défendre ce misérable que tout le monde accuse !…

— C’est justement parce que tous semble l’accuser…

Mais Jean exaspéré :

— Tu ne veux jamais être de l’avis de personne ! Cela t’a réussi quelquefois, mais aujourd’hui l’orgueil te perd et tu te fais le défenseur d’un assassin !

— Et toi, Jean, l’amour et la jalousie t’aveuglent…