Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/4

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Rouletabille chez les Bohémiens !… Cela, alors, c’est la grande aventure, c’est la plus audacieuse entreprise et la plus effroyable qu’il ait jamais tentée !… Il aura été le premier à pénétrer chez ce peuple dont on ne connaît rien, absolument rien !… Rien que les corbeilles d’osier qu’il tresse au bord des chemins et que des filles en haillons, belles comme des déesses de bronze, tendent, pour quelques sous, au passant ; rien que les feux de bivouac, éclairant la nuit, à l’orée des bois, d’inquiétantes silhouettes penchées sur on ne sait quel mystère, peuple insaisissable comme la poudre de la route où glissent ses pieds nus… Depuis des millénaires, il garde jalousement son secret. D’où vient-il ? Lui seul le sait… Certains prétendent qu’avant de nous revenir de l’antique Asie, après la chute de Babylone, il nous est venu de la plus antique Atlantide… Où va-t-il ?… Routetabille a voulu le savoir !

Épouvantable sacrilège, audace incomparable qui lui vaudront les heures les plus funestes, les plus horribles, mais aussi les plus orgueilleuses de sa vie ! Car il a deviné, lui, que les Romanés, ce n’est pas seulement une caravane qui passe, mais un peuple avec toute sa hiérarchie, avec ses rites cachés, ses espoirs inébranlables dans une destinée écrite au livre des Ancêtres, un peuple qui obéit à quelqu’un et à quelque chose… à quelque chose de terrible et de sacré, surtout à une heure où, dans le sang et dans la flamme, les peuples brisés se soulèvent en un effort surhumain pour ressouder leurs morceaux… Et tranquillement, avec son bon sourire, il est descendu dans l’abime… !

Certes ! il s’est bien gardé d’oublier à la maison son « bon bout de la Rai-