Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/5

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son », sans lequel, du reste, il ne sort jamais, comme d’autres ne sortent jamais sans leur canne. C’est en s’appuyant sur ce bâton merveilleux qu’il ne cesse d’avancer, d’un pied sûr, dans les plus lourdes ténèbres, tandis que, derrière lui, les autres trébuchent et s’effondrent. On ne conçoit pas plus Rouletabille sans son cher « bon bout de la Raison » que sans sa pipe !

Tout de même, sous ses dehors pleins d’humour, il ne laisse pas d’être très ému, car l’on pense bien qu’il ne s’agit point seulement pour lui de résoudre un problème ethnique… et peut-être eût-il laissé passer à côté de lui — il a tant de choses à faire — le peuple romané en route vers son destin, s’il n’avait été entraîné dans l’effroyable aventure par la nécessité de sauver cette petite amie fragile qu’il aime, hélas ! un peu plus qu’une sœur, cette douce figure dorée par le soleil des Camargues, cette belle enfant qui, a connu toutes les joies de l’éducation la plus aristocratique, et que la fatalité de son origine brise dans un étau impitoyable… Les Romanés ont arraché leur petite reine à l’Occident ! Pleure, Odette, au fond de la roulotte qui t’emporte vers l’obscure et fatale cité qui garde encore, dans l’ombre de ses murs en ruine et de son temple farouche, le rite cruel du peuple dispersé et autour de laquelle reviennent, à tire d’aile, tous les espoirs cigains… Pleure, mais ne désespère pas !… Car Rouletabille accourt, et, toi aussi, petite figure de martyre dont on ne peut voir, à l’écran, les larmes sans pleurer, toi aussi on t’aimera !…

Gaston Leroux