Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/47

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mais il n’en était heureusement rien, et il ne me fit pas trop mauvais accueil, bien que nous ne fussions point tout à fait une paire d’amis dans la vie civilisée… je découvris alors que Balogard s’était blotti sur des vêtements qui ne m’étaient pas inconnus. Il y avait là toute la défroque parisienne de Callista ! la toilette en velours taupe garnie de castor. J’en conclus qu’au moins pour le moment Callista était redevenue bohémienne et je n’eus aucun mal à imaginer que je me trouvais dans le repaire de Zina où l’on avait tout d’abord transporté la petite Odette !… Quel drame s’était passé là, entre Callista, la pauvre enfant et la vieille Zina ? »

À ce jour les notes de Rouletabille s’arrêtent là. Cependant le soir même vers les six heures une scène des plus importantes se passait à Lavardens dont nous ne trouvons pas trace dans le carnet du reporter. Le parquet était revenu sur les lieux pour complément d’enquête et avait fait amener Hubert au Viei Castou-Nou.

Rouletabille arriva comme on interrogeait celui-ci à nouveau, à l’endroit même où l’on avait trouvé le cadavre de M. de Lavardens. Le père Tavan était là. Après avoir regardé tout ce monde, le reporter interpella directement Hubert :

— Je sais, lui dit-il, qui a enlevé Odette et vous aussi vous le savez !

Sur quoi Hubert se prit à rire de la façon la plus sinistre en fixant le reporter.

— Bien sûr que je le sais ! fit-il, mais je ne le sais pas aussi bien que vous !…

M. de Santierne est sur les traces de la Rousse Fiamo, continua Rouletabille d’une voix soudain altérée, dites toute la vérité monsieur, et vous pouvez encore vous en tirer !

Il ferait mieux, rétorqua Hubert, d’être sur les traces d’Olajaï… d’Olajaï qui vous a précédé ici de vingt-quatre heures !…

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, fit Rouletabille en pâlissant.

— Oh ! que si, monsieur, vous me comprenez bien !

Et il continua de ricaner en haussant les épaules.

Sur quoi, le juge, impatienté, s’écria :

— Voici un conciliabule insupportable ! Et votre conduite en tout ceci, monsieur (il s’était tourné vers Rouletabille) est particulièrement inexcusable ! Vous semblez prendre plaisir à rendre notre tâche impossible quand vous n’essayez pas de la rendre ridicule. Vous dites que vous savez qui a enlevé Mlle de Lavardens ! Eh bien votre devoir est de nous le dénoncer…

— Vous nommer les coupables ? répliqua Rouletabille qui avait reconquis tout son calme… non… Monsieur Crousillat, pour que vous les « ratiez » !…

— Monsieur !…

— Monsieur, j’aime mieux vous les amener pieds et poings liés, et cela je vous le promets !…

— Vantardise ! reprit le juge d’instruction visiblement exaspéré… C’est comme les articles que vous avez télégraphiés à Paris et qui viennent de nous arriver ici ! C’est une gageure ! Pourquoi prétendez-vous que nous n’arrêterons jamais l’assassin ?… Vous le connaissez, vous, l’assassin ?… Vous pourriez nous en donner un aperçu ? Il est brun ? Il est blond ? Il est gras ? Il est maigre ?…

— Maigre, monsieur, répondit Rouletabille sans sourciller, maigre comme un clou !